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chez nous s’enflamme rarement pour les monumens de l’art de ce zèle auquel il est si prompt lorsqu’il s’agit de ses passions politiques ou de l’honneur armé du pays, Hélas ! il lui est arrivé trop souvent de méconnaître à cet égard ses plus précieux titres, de les anéantir même de ses propres mains, et, pour ne parler que de la sculpture, de se ruer, en des heures honteuses, sur les statues des cathédrales ou sur les tombeaux de Saint-Denis ! Le peuple italien n’a ni ces aveuglemens ni ces colères. A toutes les époques, sur tous les points du territoire, il sait estimer à leur prix les bienfaits de l’art ; il sait en vénérer les reliques ou les nouveaux témoignages, et, à mesure qu’un progrès s’accomplit, célébrer, comme une conquête glorieuse pour tous, ce qui ne serait ailleurs qu’un objet de curiosité pour quelques-uns. Qui ne se rappelle cette Madone de Cimabue promenée triomphalement d’un bout à l’autre de Florence et laissant, en mémoire des applaudissemens et des joies populaires, le nom « d’heureux faubourg » à la rue qui l’avait vue naître ? L’enthousiasme de tout Orvieto à l’aspect des merveilles de la cathédrale atteste une fois de plus cette clairvoyance de l’esprit public en Italie, et si de tels exemples ne suffisaient pas, les hommages rendus quelques années plus tard au sculpteur de la première porte du Baptistère à Florence confirmeraient sur ce point les traditions nationales et en rajeuniraient les souvenirs.

Quel était donc ce nouveau maître dont les talens occupaient si bien la foule, dont la seigneurie de la république était venue solennellement admirer le chef-d’œuvre, accompagnée, suivant le récit d’un contemporain, Simone della Tosa, des ambassadeurs étrangers et escortée de toutes les corporations ? Il se nommait André de Pise, non que Pise eût été le lieu de sa naissance[1], mais parce qu’il avait reçu, à l’école de Jean, ses premières leçons dans cette ville. Son habileté à couler des modèles en bronze à une époque où les procédés de l’art du fondeur étaient à peine connus et pratiqués lui avait valu l’honneur d’être appelé à Florence pour orner le Baptistère de cette porte qui, après vingt ans de travail, était achevée, mise en place, et à laquelle Ghiberti devait, dans le siècle suivant, donner deux pendans plus beaux encore et plus célèbres.

Les innovations que révèle l’œuvre principale d’André de Pise ne consistent pas seulement dans la science, prodigieuse pour le temps, avec laquelle la fonte d’un travail aussi vaste, aussi compliqué, a pu être préparée et conduite. L’ordonnance imprévue de ces bas-reliefs consacres à la vie et à la mort de saint Jean-Baptiste, le mode de composition adopté pour chaque scène, surtout les figures

  1. Des documens récemment découverts et publiés par un érudit des plus sagaces, M. Bonaini, établissent, contrairement à l’opinion accréditée, qu’André de Pise était né à Pontedera.