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d’enseignemens et de conseils, l’antique n’a plus guère été qu’une occasion d’exercice pour la mémoire, une sorte de dictionnaire où chacun est venu prendre non-seulement des mots, mais des phrases toutes faites, afin de suppléer à des idées absentes ou à l’insuffisance du sentiment. De là, dans les temps modernes et au milieu de la civilisation chrétienne, ces éternels anachronismes et ces banalités mythologiques ; de là tant d’images muettes pour l’esprit et tout aussi dépourvues d’intérêt pour les yeux, tant d’Apollons, de Mercures ou de Faunes sans signification actuelle, sans emploi nécessaire, sans raison d’être, après les types consacres qu’ils réussissent tout au plus à reproduire et que le plus souvent ils parodient.

Objectera-t-on qu’accuser ainsi certains torts d’habitude, c’est en réalité faire le procès à l’art lui-même et méconnaître les lois qui le régissent, les conditions essentielles qui lui sont imposées ? Sans doute, je le sais comme tout le monde, la sculpture n’existe pas en dehors du beau et par conséquent en dehors des grands principes que le génie antique a mieux qu’aucun autre définis et proclamés ; sans doute la forme nue est pour le ciseau un moyen d’expression principal. Est-ce une raison pour s’exempter du moindre effort d’invention ? Le domaine de la statuaire appartient-il aux hôtes du vieil Olympe attitré de fief-lige ou de propriété inaliénable ? Ne saurait-on modeler d’autres corps que des corps nourris d’ambroisie, agencer d’autres lignes que des contours prévus, traditionnels, ultra-classiques ? Qu’on demande à l’antiquité le secret de rendre noblement le vrai et de concilier avec la soumission au fait le respect de l’idéal, rien de mieux sans contredit : il n’y aura là ni arrière-pensée de rivalité vaine, ni mensonge esthétique vis-à-vis de soi, ni fausse interprétation du passé ; mais rentrer de gaité de cœur en lutte avec la perfection absolue, se remettre en quête de ce qui a été trouvé une fois pour toutes, répéter, au risque d’en amoindrir le sens, ce que d’autres ont pleinement exprimé, — la malencontreuse ambition et l’oiseuse besogne ! De deux choses l’une en effet, pour peu qu’on se mette en tête de recommencer de pareils ouvrages : ou l’artiste, découragé par l’excellence des formes qu’il aura entrepris de transcrire, se dégoûtera bientôt d’une tâche qui lui interdit à la fois l’espoir de surpasser, d’égaler même ses modèles dans l’ordre d’art qu’ils représentent, et le droit d’en modifier l’aspect, sous peine d’en dénaturer l’esprit, ou bien, s’il est à court d’idées, de visées propres, il s’accommodera d’autant mieux de son impuissance qu’il l’aura mise à peu de frais sous le couvert de l’abnégation volontaire, et qu’en feignant de se dévouer à la défense d’un principe, il se sera simplement réfugié dans la pratique d’un procédé. Sans répudier l’étude de l’antiquité, — encore une fois, autant vaudrait abolir l’art lui-même, ― le moment ne