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dès les premiers jours et se combine avec le mouvement qui s’accomplit dans le sens naturaliste. Bien avant le temps où la seconde génération des peintres quattrocentisti se résout à interroger de près les monumens grecs et romains, bien avant la ligue et les manifestes des néoplatoniciens, amis de Laurent de Médicis, les travaux des sculpteurs toscans procèdent franchement de l’antiquité : ils tendent à en restaurer le culte, à en rajeunir les doctrines, avec une éloquence assurément plus entraînante que ne le sera, dans les deux siècles qui vont suivre, la logique des théoriciens ou la faconde des érudits. Comment expliquer cette révolution subite ? D’où vient que du jour au lendemain la lumière se soit faite, et qu’à la sombre majesté, aux formules barbares du style byzantin, l’expression d’une grandeur sereine et d’une vérité épurée ait succédé sans transition ? C’est la gloire de Nicolas de Pise d’avoir, par la seule clairvoyance de son génie, deviné les moyens d’opérer un pareil prodige, et, le secret une fois trouvé, d’avoir divulgué sa découverte avec un zèle infatigable, avec une autorité d’autant plus sûre que sa foi était au fond mieux réfléchie et sa raison plus fortement convaincue.

On sait que les bas-reliefs d’un sarcophage grec conservé encore aujourd’hui dans le Campo-Santo de Pise suffirent pour révéler à ce grand artiste sa propre vocation et les principes en vertu desquels, il devait entreprendre la régénération de la sculpture. Ce n’est pas que jusqu’au jour où ses regards rencontrèrent pour la première fois ce beau monument au milieu d’autres débris qu’on se proposait d’utiliser pour la décoration extérieure de la cathédrale, alors en construction, Nicolas de Pise n’eût déjà laissé pressentir dans plusieurs ouvrages l’élévation de ses instincts et la correction relative de sa manière. Sculpteur et architecte dès sa jeunesse, il avait à ce double titre fait preuve d’une habileté supérieure à la méthode conventionnelle pratiquée par ses prédécesseurs et par ses contemporains. Sans parler des édifices élevés d’après ses plans à Pise et dans plusieurs autres villes, une Déposition de croix, sculptée en ronde-bosse au-dessus d’une des portes de l’église de Saint-Martin à Lucques, accuse chez ce maître des ressources d’imagination et un sentiment de l’ordonnance pittoresque bien différens des procédés grossiers de mise en scène auxquels on avait coutume de recourir en pareil cas. Néanmoins il n’y a là encore que les témoignages d’un talent plus personnel ou, pour mieux dire, d’un bon vouloir plus sincère que le banal savoir-faire commun aux autres œuvres de l’époque. La certitude de la doctrine, les caractères formels de l’innovation et du progrès n’apparaissent dans les travaux de Nicolas de Pise qu’à partir du moment où l’occasion s’est présentée pour lui de contempler un spécimen achevé