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constituent les religions des peuples les plus anciennement civilisés ; mais où est la preuve que ce qu’elles ont de plus défectueux ait produit ce qu’elles ont de meilleur, et comment soutenir que les dogmes les plus élevés des Égyptiens, des Perses ou des premiers Hindous ne soient en fait que le développement du fétichisme et une superstition épurée ? Ne pourrait-on regarder au contraire tant de grossières ou impures illusions comme l’altération populaire de quelques idées plus hautes, de quelque enseignement plus digne, ou plutôt n’est-ce pas un effet de l’inégalité morale et intellectuelle qui règne dans tout société que cette coexistence et même ce mélange de vérité et d’erreur, d’ignorance et de lumière, de bien et de mal ? Le peuple que le christianisme tient pour élu n’a pas su constamment se défendre, malgré les révélations du mont Sinaï, de les altérer par des superstitions idolâtres ou magiques, et les nations chrétiennes, même depuis le moyen âge, offrent des traces reconnaissables de ce besoin misérable d’introduire dans la religion la foi aux talismans. Loin donc de voir dans les fictions vulgaires du surnaturalisme le plus grossier les premiers bégaiemens de la religion, j’y verrais le triste accompagnement et le triste obstacle que l’infirmité de l’esprit humain, égaré par la ruse ou la passion, réserve à la révélation d’une science privilégiée, aux leçons d’une élite mieux inspirée. Bien loin qu’une foi abrutissante dans une magie surnaturelle soit l’origine des religions dignes de ce nom, je pencherais à croire que celles-ci ont plutôt été une protestation diversement heureuse contre les préjugés d’une crédulité de sauvages. On veut aujourd’hui mettre une certaine opposition entre la science et la foi. Je croirais volontiers que la première foi a été l’œuvre de la première science. C’est la réflexion de quelques-uns qui aura éclairé l’inertie intellectuelle des masses. Les révélateurs ont été les philosophes du temps. Il n’est pas besoin de leur attribuer une connaissance parfaite de la vérité qui nous manque encore aujourd’hui. Ces sages pouvaient conserver dans leur enseignement leur part des préjuges de leur siècle ; ils pouvaient même y ajouter leurs erreurs propres. Enfin il n’est pas interdit de faire quelque place à l’opinion de Voltaire et de Montesquieu lui-même, qui voulaient que les instituteurs et les gardiens des religions antiques n’eussent pas reculé devant l’imposture sacrée. Accommoder des idées que l’on croit utiles aux préjugés de ceux qu’on en prétend convaincre ; mettre la vérité nouvelle sous la protection de l’erreur commune est un artifice que la politique s’est rarement reproché, et que les meilleures intentions peuvent faire trouver innocent, louable même, à des philosophes tout aussi bien qu’à des prêtres. Tromper les hommes à bonne intention n’est pas encore