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Perkins a rendu à la mémoire de ces nobles talens un hommage bien mérité, et à quiconque veut étudier de près l’histoire de l’art un véritable service. Il a mené à bonne fin une entreprise que jusqu’à présent on n’avait pas abordée ailleurs qu’en Italie, et qu’en Italie même on n’avait à diverses époques tentée qu’incomplètement.

Les écrivains italiens en effets qui nous ont, laissé tant de précieux documens sur les écoles de peinture et sur les peintres de leur pays, se sont contentés, en ce qui regarde la sculpture nationale, de nous transmettre quelques indications succinctes, fournies le plus souvent à titre de simples commentaires des œuvres ou des progrès accomplis avec le pinceau. Au commencement de notre siècle, il est vrai, Cicognara publiait sa volumineuse Histoire de la Sculpture, et dans ce livre, consacré à l’examen des talens qui se sont produits en Europe depuis l’époque de Nicolas de Pise jusqu’à celle de Canova, il fallait bien que les sculpteurs, trecentisti et quattrocentisti[1] eussent leur place. Aussi en occupent-ils une, mais une place relativement restreinte, sans proportion avec le vaste espace réservé aux maîtres des derniers temps de la renaissance et même avec celui où se prélassent Canova et ses contemporains.

En France, sauf quelques fragmens de l’ouvrage de d’Agincourt, l’Histoire de l’Art par les monumens, nulle tentative sérieuse jusqu’ici pour s’enquérir et pour nous informer des phases que la sculpture a traversées de l’autre côté des monts. Quoi de plus naturel au surplus ? Le silence de nos écrivains sur ce point ne s’explique-t-il pas de reste par celui qu’ils gardent en face d’autres faits qui réclameraient leur attention plus impérieusement encore ? Ce n’est pas lorsque notre école de sculpture, — et quelle école ! sans rivale dans les temps modernes pour la fécondité soutenue et la longévité, — ce n’est pas lorsque tant de maîtres et tant de travaux admirables attendent encore leur historien dans le pays qui les a vus naître, qu’il y aurait lieu d’accuser l’indifférence apparente des érudits français à l’égard de l’art étranger. Qu’ils nous apprennent d’abord à estimer à leur prix nos propres richesses, à vénérer les gloires qui nous appartiennent ; que, depuis les mâles sculptures qui ornent les portails des cathédrales de Chartres, de Reims et de vingt autres églises, jusqu’aux tombeaux ornés, deux siècles plus tard, par le ciseau d’un Michel Colombe, d’un Juste de Tours, d’un Pierre Bontemps ; que, depuis l’Amiral Chabot, attribué à Jean Cousin, jusqu’au Voltaire de Houdon, ils nous montrent cette suite non interrompue d’œuvres éminentes, inspirées au fond par les mêmes principes, issues des mêmes coutumes, des mêmes instincts du génie national : après quoi il sera temps d’interroger le

  1. On sait que cette dénomination de quattrocentisti s’applique en Italie aux artistes qui vivaient au XVe siècle, comme celle de trecentisti désigne les artistes du XIVe siècle.