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Malgré les précieuse, découvertes dont environ depuis un demi-siècle l’étude de l’Orient a enrichi le savoir humain, malgré les anticipations savantes que M. Burnouf a si bien exposées dans ce recueil[1] est-il à craindre que ce ne soit jamais sur des bases inébranlables et complètes : qu’on éditera le monument dont le plan est à peine entrevu. Citez en effet les religions les plus connues en dehors de la nôtre, le paganisme de l’antiquité, qui certainement en contient ou en suppose plusieurs autres dans son sein, le brahmanisme, le bouddhisme ; y a-t-il longtemps qu’on sait quelque chose de bien certain sur leur origine ? Et dans quel nuage se cache encore leur berceau ! Ce qu’on en connaît ne permet pas de résoudre avec une suffisante clarté une question qui ressort des théories les plus répandues sur le point de départ et la marche des sociétés. C’est, on le sait, une thèse souvent soutenue que la civilisation commence par un minimum, et qu’à mesure que les âges reculent, ils nous reportent à un état de plus en plus grossier, de plus en plus sauvage, où tout débute par d’informes essais et de vagues tâtonnemens. . Dans. cette hypothèse, un fétichisme brutal, une croyance à je ne sais quelle sorcellerie de la nature, aurait été la première forme de la religion, et certes c’est compromettre beaucoup cet auguste nom que de le donner à ces assemblages hideux de suppositions forgées d’instinct par l’ignorance et la peur, et dans lesquelles on chercherait vainement l’idée d’un Dieu et celle d’un devoir moral. Cela paraît être cependant la pensée fondamentale de l’ouvrage trop peu connu de Benjamin Constant sur la religion, Cette hypothèse s’ajuste assez naturellement avec la doctrine du progrès ou de la perfectibilité. Il existe encore aujourd’hui des contrées où le fétichisme paraît demeuré voisin de sa forme la plus grossière, et les peuplades africaines en particulier offrent plus d’un exemple de cet état vrai ou prétendu du culte, primitif ; mais rien n’indique que ces tribus ou ces races soient en voie et en mesure de s’arracher par elles-mêmes à cette barbarie religieuse, et que cet état misérable puisse être la base d’un progrès ultérieur. Faut-il en conclure que toutes les races ne sont pas naturellement et spontanément perfectibles, ou plutôt ne serait-ce pas qu’il est douteux que le fétichisme fût le début nécessaire ou même habituel de la religion ? Ce que nous savons de l’âge le plus reculé des cultes de l’Europe et de l’Asie ne démontre pas l’hypothèse que ne repoussait point Benjamin Constant. L’idolâtrie sans aucun doute, et une idolâtrie entachée de fétichisme et de sorcellerie, départ souvent les croyances même les plus pures et les plus nobles pratiques qui

  1. Voyez la Revue au 1er et 15 décembre 1864.