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idées comme les jeux d’une fantasmagorie intellectuelle, cherche ce qu’elles contiennent de solide et de nécessaire, ce qu’elles privent de réel en dehors d’elles-mêmes. Ainsi de l’existence du sentiment religieux ou de l’idée religieuse attestée d’ailleurs par une grande variété d’institutions on a pu induire l’existence correspondante d’un objet, fondement plus ou moins voilé de toute religion. En d’autres termes, on en a fait la métaphysique, après en avoir fait la psychologie, et c’est cette métaphysique qui s’est appelée la théologie ou même la religion naturelle.

On sait combien nous sommes loin de dédaigner cette manière toute philosophique d’écrire l’histoire de la religion. On ne pouvait guère d’ailleurs la concevoir autrement dans l’état où sont restées longtemps nos connaissances historiques ; mais il faut convenir que cette façon tout abstraite de présenter un fait aussi divers et aussi complexe a quelque chose de fictif et de forcé qui risque de ne pas satisfaire entièrement l’esprit. Elle peut, et je crois fermement qu’elle y réussit, conduire à une certaine vérité, à la plus essentielle si l’on veut, mais non à la vérité tout entière. Aujourd’hui c’est une disposition générale que de vouloir unir à l’abstraction philosophique une sorte de réalisme historique. On veut savoir comment les choses se sont passées, expliquer leur nature par leur destinée, et l’archéologie est devenue inséparable de la philosophie de l’histoire. Une simple idée générale extraite des faits pris en gros ne suffit plus à la curiosité, n’obtient pas même une entière confiance, ne contente pas la raison, qui ne se sépare plus aussi aisément de l’imagination. On ne saurait d’ailleurs se dissimuler qu’à négliger systématiquement ou à forcément ignorer les circonstances et les formes qu’a traversées depuis l’origine la croyance religieuse de l’humanité, on s’expose à représenter cette croyance dans son fond d’une manière hypothétique ou partielle, et l’on ne persuade pas les esprits, généralement assez prévenus contre la pure philosophie des choses. Enfin le pli est pris : on veut de la critique et de l’histoire ; on prétend ne rien apprendre que par là, et souvent même on tient moins à penser qu’à savoir ce que le monde a pensé.

Mais dans ces nouvelles conditions l’histoire des religions n’est pas devenue, il s’en faut, plus aisée à faire. Nous sommes encore loin du temps où, toutes leurs origines étant bien connues, on aura pu les suivre à la trace dans leurs développemens, dans leurs transformations, et de là inférer la loi ou les lois qui président à ces grandes manifestations sociales d’une pensée apparemment inséparable de l’humanité. C’est alors qu’un chapitre important serait ajouté à la philosophie des religions, — celui de la philosophie de leur histoire ; mais ce temps ne viendra peut-être jamais. Du moins,