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voudraient acquérir pour elles seules le monopole des opinions démocratiques et révolutionnaires. Ces inspirés, à les entendre, sont seuls possesseurs de la tradition, et en dignes orthodoxes c’est par les retranchemens et les excommunications qu’ils composent l’unité de leur église. Cette tendance est à nos yeux ce qu’il y a de plus contraire au véritable génie démocratique et à l’esprit compréhensif et large de la révolution française. Bien loin de se montrer jalouse et défiante, bien loin de chercher dans le passé des motifs de soupçon contre les hommes et de marcher à l’avenir par la voie étroite, la démocratie libérale doit être sympathique et accueillante pour tous ceux qui concourent dans le présent à la propagation de ses idées et au succès de ses efforts. Une démocratie intolérante travaille à son propre suicide. Nous avons vu ce qu’il en a coûté en 1848 aux républicains de la veille de repousser les républicains du lendemain. La république était pourtant en elle-même, suivant un mot célèbre, le gouvernement qui nous divise le moins, et les républicains de ce temps-là n’ont point, eu à se louer d’avoir éternisé et multiplié les divisions entre les personnes quand l’union sur les choses était possible. Nous ne concevons pas à quel titre, de quel droit la démocratie pourrait être exclusive et intolérante : ses principes étant fixés, quiconque sert momentanément un de ces principes doit être pour elle un bienvenu. Voyez les États-Unis : avec quelle facilité et quelle promptitude ils naturalisent chez eux les nouveaux venus d’Europe ! Un parti s’était formé en Amérique, il y a quelques années, qui voulait, fermer la cité au flot des émigrans. On appelait les hommes de ce parti les know-nothingt ce qu’on pourrait traduire chez nous par le parti des hommes qui n’ont rien appris ni rien oublié. Les know-nothing ont disparu de la scène politique des États-Unis. Au nom du ciel qu’on n’essaie point de former dans notre démocratie un parti de know-nothing français ! Que nos précisiens révolutionnaires veuillent bien d’ailleurs prendre en considération l’époque et les circonstances politiques où nous vivons ! D’une spart, les événemens ont depuis vingt ans donné aux partes politiques, des chocs si violens que l’on doit bien admettre que des transformations très sérieuses ont pu se produire dans les opinions. Quand on excommunie dans le présent un homme public sur la dénomination de parti qu’il a pu porter dans le passé, on s’expose à lui refuser, injustement le bénéfice d’expérience qui a dû profiter à son éducation politique. D’un autre côté, les circonstances ne sont point favorables, à l’organisation des partis et à la manifestation de leurs idées. Les partis évincés par les événemens de 1851 n’ont plus d’existence légale et constitutionnelle ; ils ne peuvent plus se donner à eux-mêmes leurs anciennes qualifications ; ils passeraient leur temps d’une façon fort sage et bien habile, et ils feraient un joli métier, s’ils se combattaient en l’honneur de leurs anciennes querelles, et s’ils se poursuivaient de dénonciations mutuelles. Il n’y a en ce moment pour les démocrates libéraux qu’une seule conduite en même