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interroger l’histoire des divers partis qui ont gouverné la France depuis un siècle, demander aux idées de décentralisation des certificats d’origine et bâtir sur des souvenirs du passé des procès de tendance pour l’avenir ? Mais par là encore il est impossible de rendre les idées de décentralisation suspectes aux opinions démocratiques et libérales. Bien au contraire c’est la démocratie libérale qui seule a le droit de revendiquer l’initiative de ces idées. L’ancien régime en effet, M. de Tocqueville l’a irréfutablement prouvé, l’ancien régime, qui était le despotisme, nous a légué tout ce qu’il y a de plus abusif dans le mécanisme centralisateur ; nos préfets et nos sous-préfets ont été créés à l’image de ses intendans et de ses subdélégués. Les assemblées révolutionnaires ont eu les premières le sentiment complet des conditions de la vie d’un peuple libre et de la participation des citoyens à l’administration de leurs affaires. Puis sont venus le consulat, l’empire, la restauration, trois gouvernemens essentiellement centralisateurs, — la monarchie de Juillet, qui a rendu aux assemblées locales quelques-unes de leurs attributions essentielles, — la république, qui nous a donné le suffrage universel. Les idées décentralisatrices, notre histoire moderne en fait foi, dérivent donc uniquement et directement de la révolution française, et ce sont d’étranges serviteurs de la révolution que ceux qui voudraient répudier cette portion de son héritage pour en attribuer le mérite, le profit et l’honneur aux opinions légitimiste où cléricale.

Mais ceux qui voudraient organiser l’opinion démocratique et libérale comme une secte à prétentions exclusives et à humeur intolérante mettent en avant un autre grief. Des membres de l’opinion cléricale ont adhéré au projet de Nancy ; ce projet, pour ce motif, n’aurait pas dû obtenir l’adhésion des démocrates libéraux. Il y a là une action commune, une coalition, disent ces puritains, qui sont incompatibles avec les principes démocratiques. Si on ne la rapportait qu’à l’incident du projet de Nancy, cette prétention se réduirait à un véritable enfantillage qui ne serait point digne d’une discussion sérieuse. On devrait cesser de soutenir ses principes lorsqu’on en verrait quelques-uns soutenus par des hommes qui ne les partagent pas tous ! On devrait se refuser au triomphe d’une grande cause, au triomphe de la liberté de la presse, de la liberté électorale apparemment, aussi bien qu’au succès de la décentralisation, toutes les fois que des hommes qui auraient appartenu dans le passé à des opinions proscrites s’efforceraient d’y concourir ! Ce n’est point avec de pareilles tactiques qu’on a jamais fait de la politique intelligible à l’opinion et féconde en résultats. Quand on a l’esprit si chagrin et qu’on aime ainsi à couver ses rancunes, on ne doit pas viser à être tribun, il vaudrait mieux se faire ermite. Mais on trahit là, à propos du premier prétexte venu, qui est aujourd’hui le projet de Nancy, une prétention à la conduite des opinions révolutionnaires dont il faut avoir raison une bonne fois. Quelques personnes, peu nombreuses, comme celles qui forment ordinairement les petites églises,