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encouragées, par MM. Carnot, Jules Favre, Jules Simon, et des représentans éminens des opinions démocratiques et libérales. Nous avons beau faire, nous ne pouvons prendre au sérieux ce petit schisme de presse démocratique. Ces protestations n’ont point de prétexte, elles dénaturent le sens du mouvement décentralisateur commencé à Nancy, elles méconnaissent la tradition constante des représentans les plus autorisés de la révolution française, elles se trompent sur le sens des aspirations libérales de la France, elles sont l’écho de sentimens aussi impolitiques qu’injustes.

De quoi est-il question dans ce débat ? On parle de l’unité française mise en péril, des armes que les partis contre-révolutionnaires cherchent dans la décentralisation. Il faut avoir bien peu de sens pratique pour prononcer à ce propos des mots si grands et des accusations si sonores. La vérité du système que la révolution a voulu établir en France, c’est le gouvernement du pays par le pays, et c’est dans un tel système en effet, c’est lorsque tous les citoyens participent au gouvernement directement ou par le mandat représentatif que se trouvent les conditions vivantes de l’unité nationale. Les décentralisateurs de Nancy sont des audacieux et des novateurs qui voudraient qu’un pays appelé à se gouverner lui-même s’administrât aussi lui-même dans le cercle des intérêts locaux tel qu’il a été déterminé par les conditions mêmes de l’unité nationale, dans la commune, dans le canton et dans le département. Ils ont ouvert tout simplement une enquête sur la question de savoir comment il faut s’y prendre pour faire participer le plus directement possible les citoyens à l’administration de leurs intérêts. Lorsqu’on demande aux gens leur avis, il est naturel qu’on commence par leur proposer le sien : ainsi ont fait les Nancéens. Ils ont, sans prétention, sans arrogance, proposé leur plan de décentralisation. Et savez-vous les énormités qu’ils ont mises en avant ? Ils voudraient que les maires fussent pris dans les conseils municipaux ; ils voudraient que les conseils-généraux fussent appelés à élire leurs présidens ; ils voudraient que, comme en Belgique, une délégation du conseil-général assistât et contrôlât le préfet dans les actes de pure administration locale. Et c’est à propos d’idées si simples, si pratiques, qu’on vient parler de l’unité nationale en péril ! Mais l’unité nationale, c’est la langue, c’est l’unité de législation civile, c’est l’unité des pouvoirs publics, législatif et exécutif ; c’est l’unité financière, c’est l’unité militaire, tout cela cimenté et fortifié par les conditions géographiques du pays et par ces moyens de transmission et de communication si rapides qu’ils ont en fait réduit peut-être au dixième les anciennes proportions territoriales de la France. Y a-t-il une seule de ces conditions, morales, politiques, matérielles, de l’unité française, qui soit effleurée par le projet de Nancy ? Y a-t-il une ligne de ce projet et des adhésions qu’il a reçues qui puisse donner matière à l’accusation calomnieuse d’une conspiration absurde contre l’unité française ?

Irait-on chercher ailleurs les motifs d’une dissidence hostile ? Faut-il