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nent. Les invasions ne sont pour eux qu’un péril d’imagination, absent de leur histoire moderne, et qui leur sert tout au plus de prétexte pour construire des fortifications baroques ou ajouter un sport à leurs jeux nationaux, le sport des volontaires. Les conditions de la sécurité ne sont point pour nous les mêmes que pour eux. Nous ne pouvons être indifférens aux changemens qui se préparent ou s’accomplissent en Allemagne. Les gouvernemens germaniques, les uns par leurs principes, les autres par leur faiblesse, ne sauraient nous inspirer une raisonnable confiance. S’il résulte des rapports de ces gouvernemens des combinaisons qui changent la balance des forces entre nous et le système germanique, nous sommes mis en demeure d’aviser, sous peine de la plus coupable des imprévoyances. Faut-il chercher un contre-poids aux agrandissemens de nos voisins dans de simples garanties matérielles, telles par exemple que des extensions du territoire national ? Faut-il mettre uniquement notre confiance dans nos forces morales ? Le second parti est celui que nous préférons quant à nous. Certes, si l’Allemagne entière était libre, si la nation avait gagné tout à fait sa cause contre les préjugés des cours et l’arbitraire des souverains, si la constitution germanique était démocratique et libérale, la condensation plus grande de l’Allemagne, son unification même, ne nous inspireraient point d’alarmes ; les peuples germaniques ne courraient point alors le danger de devenir les instrumens d’une politique hostile à la révolution française. Telle n’est pas la réalité. Notre plus pressant intérêt serait donc de hâter les progrès de la liberté au-delà du Rhin. Nous en aurions le pouvoir sans doute, si nous étions en mesure d’exercer la propagande de l’exemple. Accroître en France l’intensité de la vie politique intérieure, rendre son essor à la pensée française par la liberté de la presse, s’appliquer avec ardeur au développement des principes libéraux de la révolution, ce sera ranimer la cause de la liberté et la cause de la France au foyer même où se concertent les intérêts qui nous sont hostiles. Aveugles ceux qui ne seraient point suffisamment avertis par les exploits de M. de Bismark, et qui ne comprendraient point que la sécurité extérieure de la France, va dépendre plus que jamais du degré de vie et de force qu’acquerront ses libertés intérieures.

Nous avons eu souvent l’occasion de dire, et nous ne craindrons pas de répéter qu’on ne déplacera point le centre de gravité de l’équilibre européen, qui est en Allemagne, avec de beaux projets d’union et de confédération des races latines. Sans doute on assure un grand intérêt d’avenir pour la France en secondant la constitution de l’Italie unitaire, il serait à souhaiter, plus encore pour son bien que pour le nôtre, que l’Espagne se montrât plus accessible aux bonnes inspirations de l’esprit français. Cependant, contre une Allemagne concentrée et hostile, l’Italie et l’Espagne, quand nous serions sûrs de les entraîner dans notre mouvement, ne pourraient avant longtemps nous être d’un secours efficace. Nous ne sommes