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collective. Un romand-poème, son œuvre de prédilection, publié sur ces entrefaites, et tandis qu’il sonnait encore ses fanfares triomphales, fut simplement voué au néant et regardé comme non avenu. Où il avait semé la colère, l’auteur de la Tragédie humaine moissonna l’indifférence ; une indifférence imméritée, hâtons-nous de le déclarer, attendu que, malgré ses défauts essentiels, l’œuvre nouvelle était de beaucoup supérieure au poème dont on avait fait si grand bruit. On en peut dire autant, comme valeur relative et comme succès, des trois volumes, — en prose cette fois, — qui terminent la liste des ouvrages jusqu’à présent signés par l’écrivain dont nous saluons ici les débuts[1]. M. Austin a trente ans à peine, et sans doute ce n’est pas là son dernier mot. L’existence indépendante dont il revendique volontiers les enviables privilèges, le rang qu’il occupe dans cette phalange des dix mille (upper ten thousand) qui constitue l’élite et la réserve de l’aristocratie anglaise, l’ambition très légitime qui le portait tout récemment à se présenter aux suffrages de l’élection politique sous les auspices de M. Disraeli (à qui par parenthèse était dédiée with permission la première satire de M. Austin), enfin le sentiment très accusé de ce qu’il doit à la « dignité de sa vie, » entraveront-ils définitivement l’essor de son talent littéraire ? Cela se pourrait à la rigueur, mais nous regretterions ce résultat inattendu, — et selon nous illogique, — de circonstances éminemment favorables à la libre expression d’une intelligence bien douée.

A tout événement, il ne nous paraît ni prématuré, ni sans profit possible, de nous occuper avec quelque détail des tentatives de M. Austin comme poète et comme romancier. Le principal mérite de ces écrits satiriques est d’agiter des questions aujourd’hui pendantes, de répondre aux préoccupations contemporaines, de toucher à ce qui nous touche, et cela sous une forme toujours élégante, quelquefois exquise. — Le mérite secondaire est une sorte d’originalité cavalière, — peut-être plus affectée que réelle, — par laquelle ils tranchent sur le commun des productions que multiplie, le jeu régulier de l’industrie appliquée aux œuvres de l’esprit. De là deux motifs, dont un seul suffirait à la rigueur, pour leur accorder quelque attention.


I

La satire, vieille comme le monde, durera sans doute autant que lui, Elle est l’antithèse immuable, le correctif nécessaire de

  1. A dix-neuf ans, paraît-il, M. Austin préludait à ses futurs travaux par un roman que nous ne connaissons point, et qu’il semble regarder lui-même comme un « péché de jeunesse. »