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par de légères récompenses. Du reste, bien couverts, bien logés, bien nourris, ils vivent dans des maisons de bois entourées de palissades et reçoivent les même rations, les mêmes vêtemens que les soldats des États-Unis. Un détachement de troupes de couleur veille aux abords de l’île. On dit que les prisonniers sont furieux d’être gardés par des nègres ; c’est pour eux le dernier degré de l’humiliation.

Au-dessus de Rock-Island, il y a des rapides qui s’étendent sur une certaine longueur et où la navigation n’est pas possible en été. Le steamer de Dubuque s’arrête alors à Port-Byron, d’où nous sommes venus en chemin de fer. Le bateau de Saint-Louis, retardé sans doute par les brouillards, se fait attendre depuis vingt-quatre heures. Je veille dans une chambre dont les murailles, jadis blanches, disparaissent sous une couche de noir de fumée, dont le tapis bourré de foin cache une poussière de plusieurs années, dont les stores pourris font peur à voir, — où enfin, malgré les deux fenêtres ouvertes, il règne un parfum de cabanon. L’auberge est cependant immense, et je compte le numéro 66. Les hommes de l’ouest ne sont pas plus délicats dans leur intérieur que dans leur tenue.

Je commence à croire que mon excursion au Kansas et au Nebraska se bornera à une tournée sur les bateaux à vapeur et dans les diligences. La prairie n’est pas sûre cette année, et les voyageurs n’osent plus s’y aventurer sans armes. Les Indiens s’agitent partout. Cette guerre indienne a un rapport secret avec la guerre civile. Les gens du sud, pour diviser les forces du nord, ont envoyé chez les peaux-rouges des missionnaires qui, sous prétexte religieux, sont de vrais agens d’insurrection. Ils leur ont promis qu’ils leur rendraient leurs territoires, et les pauvres Indiens, toujours affamés et crédules, poussent le cri de guerre et commencent à massacrer les hommes blancs. Le gouvernement envoie un corps de cavalerie qui les disperse en quelques jours ; on en exécute un bon nombre, on renvoie les autres, on prive la tribu du maigre subside qui la faisait vivre, et au bout de quelques mois les meurtres, les incendies recommencent, et recommenceront toujours, tant qu’il restera un Indien vivant dans les Montagnes-Rocheuses. Je vous laisse à juger le procédé fraternel du sud. Les Indiens, qui ont de la morale une autre idée que nous, célèbrent comme un exploit glorieux ce que nous appelons un lâche assassinat. Il n’y a donc pas moyen de s’entendre ; du reste, on en a bon marché. Deux cents cavaliers bien disciplinés, avec le sang-froid et le courage calculateur de l’Européen, mettent en déroute en quelques minutes des milliers de ces pauvres loups sauvages. Ils ont toujours leur même stratégie primitive, leurs embuscades disséminées, et Ils attaquent