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verdure, brillaient enveloppées de lumière à nos pieds. Les deux rivières tranquilles circulaient parmi leurs îles, blanches et polies comme des rubans de soie. Nous passâmes le Mississipi sur un bac, le premier véhicule primitif que j’aie encore vu en Amérique ; puis, gravissant la côte opposée et courant à travers la plaine, parmi les troupeaux mugissans qui revenaient des pâturages, nous vîmes poindre au crépuscule les quinze clochers de Saint-Paul.

Fort-Snelling est le quartier-général de l’armée qui garde la frontière indienne ; j’y ai vu deux prisonniers : on en a fait quelques centaines durant la dernière incursion des Indiens. Ils étaient enchaînés dans leur cachot, l’air noble et fier, bien différens des Indiens dégénérés que j’avais vus au nord. Il est vrai qu’on les dit mêlés de race blanche, ce qui explique leur beau profil et leur front ouvert. L’un d’eux gisait enveloppé dans sa couverture, condamné à être pendu le lendemain, — il a massacré treize personnes de sa main ; il me regardait fixement en murmurant des paroles entrecoupées. Le second n’a commis d’autre crime que de tuer en combattant ; on lui rendra la clé des champs. J’avais à la main un bouquet de fleurs sauvages, de belles fleurs jaunes et rouges embaumées ; il me fit un signe, je les lui donnai. Alors il se mit à les baiser, à les sentir, à grignoter les tiges, à effeuiller les corolles, à faire siffler les pétales entre ses lèvres, à jouer en un mot comme un enfant. Il était touchant de le voir, au fond de son cachot obscur, témoigner une sorte d’amour enfantin à ces fleurettes qui lui parlaient de ses solitudes et de ses chères prairies. Je regardais cette figure joyeuse et inoffensive, me demandant s’il était bien vrai que ce grand enfant cachât une bête féroce.

Saint-Paul est une ville irrégulière et naissante, où rien n’est symétrique et achevé que l’alignement des rues. Les magasins sont des bazars mal fournis, où l’on ne trouve que les objets de rebut des manufactures de l’est. Je demande quel est le meilleur chapelier de la ville ; on m’envoie chez une sorte de tailleur, drapier, libraire, papetier, marchand d’habits et de comestibles. J’y trouve un pauvre assortiment de misérables chapeaux de paille fabriqués à New-York, et de feutres encore plus tristes qui portaient l’estampille de Paris. Les vêtemens tout faits sont seuls en usage, parce qu’on n’en trouve pas d’autres. Un méchant feutre rond, des bottes ferrées, un paletot de toile jaune, tel est le costume national. Sous la dénomination de dry goods (marchandises sèches), on comprend dans le commerce tout ce qui n’est ni vin, ni bière, ni liqueurs. Les articles d’habillement sont encore appelés yankee notions en souvenir du temps où les colporteurs yankee, de la Nouvelle-Angleterre en faisaient seuls le commerce, et ce nom reste un signe de la su-