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au temps de Tessin pour décorer le château royal. Un continuel échange d’artistes avait été pendant toute la première moitié du siècle et continuait d’être un lien étroit entre les deux pays. Les ateliers de nos peintres en renom, Vanloo, Pierre Boucher ; Deshays, avaient compté beaucoup de Suédois parmi leurs élèves, et jusque sous Gustave III deux Suédois, Roslin et Vertmüller, étaient en grande réputation à Paris. Roslin fut sous Louis XV et Louis XVI le peintre de cour pour les portraits officiels ; pas un souverain étranger ne visita Paris qu’il ne fît son portrait. Quant à Vertmüller, Mme Campan déclare que son grand tableau représentant Marie-Antoinette en pied, dans le jardin du Petit-Trianon, avec ses deux enfans, la duchesse d’Angoulême et le premier dauphin, tableau exposé au salon de 1785 et conservé aujourd’hui à Gripsholm, offre le meilleur portrait qu’on ait de la reine. — Telles étaient ces relations établies par le goût des arts ; elles montrent une des voies les plus lumineuses et les plus sereines par où l’esprit français du XVIIIe siècle a su exercer son charme irrésistible.

Gustave III s’acquittait d’ailleurs en conscience de son métier de touriste : on le voyait parcourir toutes les galeries de Rome, grandes et petites, visiter la Propagande, où son éloge était imprimé en quarante-sept langues, monter dans la coupole de Saint-Pierre, jusque dans la boule qui supporte la croix, y écrire son nom sans scrupule, comme il l’avait inscrit dans le Campo-Santo de Pise, et fréquenter le soir les principaux cercles ; mais il revenait toujours de préférence au salon de notre ambassadeur. Le cardinal de Bernis étant chargé de gérer les affairés suédoises à Rome, Gustave était presque chez lui dans son hôtel : suivant ce qu’il écrivait au comté de Creutz, les spirituels entretiens qu’il rencontrait là lui étaient « comme une sorte de baume qui le guérissait des fatigues et de l’ennui des conversations romaines. » La politique se mêlait à ces entretiens, et ce fut seulement quand on eut, par l’entremise du cardinal, sondé le roi de Suède sur certaines questions du moment, qu’on lui adressa de Versailles une invitation expresse à venir visiter Paris et la cour, M. de Vergennes, notre ministre des affaires étrangères, écrit le 16 mai 1784 : « Le roi de Suède ayant trouvé dans le cardinal de Bernis un homme disposé à satisfaire sa curiosité sur tous les points comme à l’écouter avec intérêt, il s’est établi entre sa majesté suédoise et cette éminence une liaison très particulière qui n’a pas peu contribué à rendre le séjour de Rome agréable à Gustave III. Nous en avons tiré des lumières sur le caractère et la façon de penser de ce prince qui sont fort à son avantage : j’ai lieu de croire qu’il s’en apercevra par la manière dont il sera accueilli par le roi. »