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bienveillante faveur que Marie-Antoinette avait témoignée envers les Suédois à Versailles avait sans doute effacé de part et d’autre certaines impressions fâcheuses, et l’exacte correspondance de Stedingk, de Fersen et de Staël, s’ajoutant à celle des comtesses de La Marck et de Boufflers, ravivait incessamment les souvenirs et les regrets de Gustave. Les papiers d’Upsal nous offrent en outre, précisément vers cette époque, des lettres d’un baron de Taube qui paraissent avoir été de nature à séduire le roi de Suède. La verve spirituelle de ce nouveau correspondant n’excellait pas seulement à faire briller aux yeux de son maître les charmes toujours renouvelés de la société française ; esprit aventureux, comme Gustave lui-même, il l’appelait à Paris en lui proposant des plans politiques : c’était offrir de spécieux prétextes à une conscience peu timorée. Tout au moins fallait-il, suivant l’ingénieux baron, que le roi vînt rétablir la paix entre Mmes de Boufflers et de La Marck, devenues, à propos de sa majesté, rivales et jalouses. Taube, chargé particulièrement de surveiller leur utile amitié, avait usé tout son crédit et demandait du secours.


« Mme de La Marck, mandait-il le 20 janvier 1780, me dit hier qu’elle ne pouvait s’offenser qu’on lui préférât Mme de Boufflers, plus jeune et plus aimable ; je lui répondis qu’elle ne devait pas redouter d’être vieille, et qu’elle ne connaissait pas combien le roi aimait les vieilles femmes ; elle m’interrompit et me dit froidement : « Vous m’avez entièrement rassurée, monsieur. » Elle écrira sans doute à votre majesté que j’ai l’âme très sensible, mais que, quand je suis attendri, je ne sais plus absolument ce que je dis… Je la préfère d’ailleurs de beaucoup à Mme de Boufflers. Celle-ci veut savoir tout ce qui vous concerne et connaître les personnes qui vous entourent. À tout cela elle prend un vif intérêt ; mais cet intérêt me paraît beaucoup plus voisin de la curiosité que du sentiment Mme de La Marck au contraire ne veut rien savoir, que de vous seul, si vous êtes heureux, si votre santé est bonne, si vous la ménagez, si on vous aime. Je l’ai rassurée sur tout cela, et alors elle jouit, comme elle le répète, du bonheur de vous être attachée et de vous aimer. »


Quelques mois après, Taube écrit encore :


« Je ne fais que courir entre le Temple et les Tuileries (c’étaient les demeures des deux comtesses). Ces dames sont charmantes, mais elles me tourmentent impitoyablement pour savoir laquelle sera la plus aimer de vous, sire, et la plus distinguée. Comme elles ne se voient pas, je réponds à chacune : « Ce sera la plus aimable, et c’est donc vous sans doute, madame. » Je tâche de remplir ainsi mon rôle d’Osmin ; mais je prévois qu’il surviendra quelque Roxelane qui l’emportera sur ces deux sultanes respectables, et Osmin, qu’on caresse maintenant, sera furieusement détesté ! »


Parti de Stockholm le 15 juin 1780, Gustave III, après avoir passé