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la guerre de Finlande, rappela ses meilleurs officiers en 1787 ; il n’hésita pas à quitter la France. La reine lui dit en le recevant pour la dernière fois : « Rappelez-vous, monsieur de Stedingk, qu’il ne peut rien vous arriver, » l’invitant par là sans doute à recourir, en ças de malheur, au roi et à la reine de France, qui ne l’abandonneraient pas. Elle était loin de prévoir que, trois ans plus tard, c’était elle-même et Louis XVI qui allaient tomber dans l’excès de l’infortune, et qu’elle était destinée à voir précisément quelques-uns de ces Suédois loyaux et dévoués s’efforcer d’accourir à son secours.

Une autre carrière s’ouvrait dès lors pour M. de Stedingk. Chargé de défendre contre les Russes les frontières de la Finlande, il s’éleva par son rare mérite, par une bravoure et une énergie singulières, jusqu’au grade de feld-maréchal. Toute la dernière partie de sa longue carrière fut d’un habile diplomate, nous le verrons, pendant, les premières années de la révolution française, remplir avec dextérité le difficile rôle d’ambassadeur de Suède auprès de Catherine II ; il signa en 1809, avec des larmes de dépit, la paix, de Fredrikshamn, qui donnait la Finlande à la Russie, revint en France en 1814 comme ambassadeur auprès de Louis XVIII, et fut un des cosignataires de la paix de Paris. M. de Maistre, qui l’avait beaucoup connu à Saint-Pétersbourg, rend de lui plusieurs fois dans ses écrits un bon et noble témoignage, et les poètes modernes de la Suède, depuis Tegner, n’ont pas négligé de rendre hommage à sa mémoire. Il serait juste que cette mémoire ne fût pas délaissée entièrement parmi nous, car M. de Stedingk, après avoir servi bravement la France, l’a toujours aimée. On peut suivre dans sa correspondance combien le cher souvenir de Paris et de Versailles lui est présent au plus fort de ses guerres en Finlande. « Sire, écrit-il à Gustave III de l’extrême frontière russe, le Savolax (province de Finlande) est une triste demeure pour un homme qui a joui longtemps de la vie de Paris… Le ciel me fait la grâce de ne pas songer à la France ; c’est la plus forte, preuve que je puisse donner de mon attachement pour votre majesté. » Le 5 août 1788, il s’enquiert avec inquiétude d’une lettre, — que nous ne connaissons pas, — par lui adressée à Marie-Antoinette, et, quand il reçoit par Gustave les premières nouvelles de la révolution, quand il apprend qu’il va être rayé, comme absent, du tableau des officiers français, il en est profondément affligé. « Au moment de perdre mon existence en France, écrit-il, mon cœur gémit ; j’étais fier du titre de Français que j’avais acquis en l’unissant à celui de Suédois : faut-il donc que ce ne soit plus une même chose ! J’aime encore assez cette belle France pour aller me noyer avec elle, si mon