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a été atterrant, et nous n’avions pas plus l’un que l’autre de parole. Quelque chose me serrait à la gorge comme un étau.„ J’ai des momens de frisson ; j’ai comme peur, et le roi me disait tout à l’heure qu’il était comme un homme tombé d’un clocher. » En d’autres endroits du même recueil, Marie-Antoinette a des paroles de regret pour le silence et pour la retraite ; elle déplore « la destinée cruelle des filles du trône ; » elle a « des instans de noir qu’elle a peine à secouer ; » elle voudrait « se laisser aller et s’écouter vivre. » De telles mièvreries ont-elles été le langage de la fille de Marie-Thérèse ? Ouvrez le volume de M. d’Arneth : voici comment, dans la lettre bien authentique du 14 mai, la nouvelle reine de France parle à sa mère : « Quoique Dieu m’a fait naître dans le rang que j’occupe aujourd’hui, je ne puis m’empêcher d’admirer l’arrangement de la Providence, qui m’a choisie, moi la dernière de vos enfans, pour le plus beau royaume de l’Europe. Je sens plus que jamais ce que je dois à la tendresse de mon auguste mère, qui s’est donné tant de soin et de travail pour me procurer un bel établissement. Je n’ai jamais tant désiré de pouvoir me mettre à ses pieds, l’embrasser, lui montrer mon âme tout entière, et lui faire voir comme elle est pénétrée de respect, de tendresse et de reconnaissance. » La main vraiment royale qui a écrit ces fières lignes est-elle la même qui a tracé les précédentes ? Toute la question est là.

À côté des discordances littéraires et morales, veut-on des contradictions de faits ? Ce nouveau genre de preuves abonde. — Alors que, dans le recueil de M. d’Arneth, on a vu Marie-Antoinette et Marie-Thérèse s’occuper pendant quinze mois continûment, et avec une incroyable ardeur, de l’attitude que la dauphine doit tenir envers Mme Du Barry, chose très grave au double point de vue des intérêts autrichiens et du crédit de la jeune archiduchesse à la cour, vingt-deux jours après des paroles amères sur ce sujet, il faut accepter une lettre des deux recueils français qui fait dire à Marie-Antoinette : « Reste Mme Du Barry, dont je ne vous ai jamais parlé[1]… » — Le recueil de M. d’Hunolstein nous présente pour le mois de mai 1774, au premier moment de royauté, une série de lettres fort émouvantes qui ont été, alors qu’on n’avait pas le recueil de M. d’Arneth, savourées dans nos salons. Voici pourtant que, dans la correspondance authentique, Marie-Thérèse se plaint, le 30 mai, d’avoir été sans lettres depuis le malheureux jour du 10 ; elle est restée, faute de nouvelles, « en des inquiétudes insoutenables. » — Dans une de ces lettres suspectes, Marie-Antoinette aurait écrit le 11 mai :

  1. Parlé, suivant la troisième édition de M. d’Hunolstein ; reparlé, suivant le second tirage de M. Feuillet de Conches ; mais que fait-on du mot jamais ?