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des chiffres bien plus élevés ; mais ici vient se placer une remarque nécessaire : c’est que dans la construction des machines motrices la question de légèreté n’a joué jusqu’à ce jour qu’un rôle fort secondaire. Un ingénieur, un mécanicien, qui s’occupe d’établir un moteur pour un usage déterminé, se trouve en face de difficultés complexes : il cherche une solution moyenne qui soit comme un compromis entre des nécessités souvent contraires, il sacrifie certains avantages pour en obtenir d’autres d’un rang plus élevé. Or dans beaucoup de cas il n’a qu’un intérêt d’ordre secondaire à réduire considérablement le poids de la machine. La construction des locomotives pourrait nous fournir des exemples à cet égard. Plusieurs causes concourent à donner aux machines de cette espèce une légèreté relative : c’est d’abord la haute pression à laquelle elles fonctionnent, car leur travail croît avec cette pression plus vite que le poids de leurs principaux organes ; c’est ensuite l’énergie du tirage obtenu par l’échappement de la vapeur dans la cheminée qui permet de réduire l’importance de la surface de chauffe, c’est-à-dire le poids de la chaudière ; c’est enfin la grande vitesse donnée aux roues motrices. Cependant telle locomotive, qui ne doit remorquer que des marchandises, n’a que faire d’aller vite ; ce qu’on lui demande, c’est de produire un grand effort de traction avec une faible dépense de combustible : on sacrifiera la vitesse, on augmentera le poids de la machine et on en calculera les organes de telle sorte qu’elle puisse surtout, à peu de frais, traîner une lourde charge. Dans les machines navales, une considération importante prime toutes les autres : il faut y employer l’eau de la mer, et dès lors on doit renoncer à former de la vapeur à haute tension ; quand la pression dépasse trois ou quatre atmosphères, la vapeur salée laisse des dépôts adhérens qui empêchent la vaporisation, détériorent rapidement les chaudières et peuvent causer de graves accidens. La pression des machines navales est donc ordinairement limitée entre une atmosphère et demie et trois atmosphères. Aussi ont-elles un poids considérable. Nous ne parlerons pas des anciennes machines à balancier placées de vieille date sur certains bâtimens et qui pèsent entre 8 et 900 kilogrammes par cheval. Les machines oscillantes à chaudières tubulaires qui servent aux bâtimens de construction récente pèsent moyennement 300 kilogr. par cheval[1] ; c’est le poids de la machine de l’Aigle, yacht impérial.

  1. Il est nécessaire d’indiquer ici une particularité qui cause une grande confusion quand il s’agit d’évaluer en chevaux la force des machines navales. Les marins désignent sous le même nom de cheval des unités de valeurs tout à fait différentes. Ils ont le cheval de 200, celui de 225 et même celui de 250 kilogrammètres. Alors même qu’ils emploient, comme on a coutume de le faire, le cheval de 75 kilogrammètres, ils estiment la force sur les pistons de la machine, ce qui est contraire à l’usage général. On a l’habitude fort naturelle de caractériser une machine par son effet utile et d’estimer par conséquent la force sur l’arbre moteur. Or entre les pistons et l’arbre un quart environ du travail se perd. Il serait sans doute fort désirable que la marine renonçât à ses erremens pour adopter dans tous les cas l’unité qui est maintenant sanctionnée par l’usage. Quoiqu’il en soit, dans les évaluations que nous donnons ici nous voulons parler du cheval de 75 kilogrammètres, et nous supposons que la force est évaluée sur l’arbre moteur.