Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa charge. Les méthodes d’enseignement étaient alors bien imparfaites, et Andrew Bell, l’esprit perdu dans le doute, cherchait en vain de tous côté un rayon de lumière, lorsque, passant un soir à cheval devant une école hindoue, il avisa des enfans assis à terre, traçant avec le doigt quelques caractères sur le sable qu’on avait répandu devant eux. Il rentra chez lui, se disant comme tant d’autres : « J’ai trouvé ! » Andrew Bell recommanda donc aussitôt à son maître d’études de se servir de ce procédé pour apprendre l’alphabet aux écoliers anglais de la classe inférieure. La découverte n’était pas aussi sûre qu’il le croyait, car, soit mauvaise volonté, soit négligence, son maître d’études lui signifia qu’il était impossible de rien apprendre aux enfans de cette façon-là. Andrew Bell n’était point homme à reculer (on n’est point né Écossais pour rien) ; il choisit un des élèves de l’asile, fils d’un simple soldat, et lui confia l’exécution de son plan. Ce que le professeur avait déclaré impossible fut accompli sans peine par l’écolier. Apprendre à lire et à écrire était jusque-là une affaire d’état ; ce fut désormais, grâce à cette méthode, un jeu d’enfans. Le docteur Bell, voyant que cette expérience lui avait si bien réussi, eut l’idée de choisir les meilleurs parmi les élèves et de s’en servir comme de moniteurs pour instruire les autres ; ainsi se forma par ses soins le système d’enseignement mutuel. Il conçut alors le projet de revenir en Angleterre et y répandre ses idées. De retour à Londres, où il se maria, il exerça durant plusieurs années une grande influence sur l’éducation primaire du royaume, et mourut prodigieusement riche en 1830, laissant la plus grande partie de sa fortune à des écoles et à des villes de l’Ecosse.

Au même temps vivait un autre homme d’un caractère bien différent, quoique voué au même ordre de recherches et de travaux : son nom est Joseph Lancaster, Né en 1778 à Southwark, il appartenait à la secte des Quakers, ou en d’autres termes à la Société des Amis. Son père, un vétéran de l’hôpital militaire de Chelsea, avait servi dans l’armée anglaise durant la guerre avec l’Amérique. Dès l’âge le plus tendre, Joseph témoigna toute l’exaltation d’un cerveau mystique : à quatorze ans, ayant lu par hasard l’essai de Clarkson sur la traite des esclaves, il résolut de partir pour la Jamaïque afin d’apprendre aux nègres à lire « la parole de Dieu. » Sans rien dire à personne, il quitte la maison paternelle, et se dirige vers Bristol, ayant pour tout bagage une bible, le Pèlerinage du Chrétien (Pilgrirn’s Propress), de John Bunyan, et quelques shillings. La première nuit, il coucha sous une haie, et la seconde, au pied d’une meule de foin. Chemin faisant, il eut pourtant le bonheur de rencontrer un ouvrier qui allait également à Bristol ; ils marchèrent ensemble, et le plus grand vint au secours du plus petit.