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et aux affligés ; il a essayé ses talens oratoires dans la chaire, et il connaît pleinement les devoirs auxquels l’oblige son état. S’il persiste dans sa vocation et qu’il veuille faire un pas de plus dans l’église, il lui faut alors se représenter devant l’évêque du diocèse et subir un second examen en vue d’être ordonné prêtre. Cette dernière, cérémonie a lieu dans la cathédrale. La réunion est grave et imposante, mais les rites protestans n’invoquent, même dans cette circonstance, aucune image de mort volontaire ni de renoncement au monde. Le nouveau ministre est seulement tenu de souscrire aux trente-neuf articles de la liturgie et au livre de prières[1]. Il s’engage ainsi à croire et à professer les doctrines de l’église anglicane.

Revêtu désormais du caractère sacerdotal, il continue le plus souvent à servir comme curé dans une paroisse. Là, il fait généralement un bon mariage. Pour qu’il en soit ainsi, un jeune clergyman a plus d’un avantage sur les autres hommes ; d’abord il est admis dans la meilleure société, car il n’y a guère de district agricole où, dans un rayon de quelques milles, ne se trouvent plusieurs familles riches et considérées. Ces dernières exercent généralement l’hospitalité selon les vieilles traditions anglaises, et il y a peu de grands dîners où l’on ne réserve à table une place pour le curé de la paroisse. Étant garçon, il se loge comme il peut dans le village, et son intérieur est quelquefois des plus modestes ; mais son éducation et ses manières ne craignent point la comparaison avec celles des classes supérieures. Puis le lien des œuvres de charité établit entre lui et les jeunes héritières du voisinage une sorte d’intimité respectueuse qui peut bien recouvrir dans certains cas un sentiment plus tendre. Il prend d’ailleurs les cœurs par de nobles côtés : sa jeunesse, son éloquence, son zèle religieux, sont autant de moyens de séduction involontaire auprès du sexe faible et enthousiaste. De telles amours ressemblent à ces eaux tranquilles qui, selon le proverbe anglais, n’en coulent que plus profondes (still waters run deep), tout en réfléchissant à la surface le bleu du ciel. Beaucoup de jeunes filles de l’aristocratie qui refuseraient d’épouser un avocat ou un médecin, ne croient point du tout se mésallier en s’unissant à un membre du clergé. Par les mariages ainsi contractés, une partie de la richesse des classes supérieures tombe entre les mains des ministres de l’église. Le curé marié aspire généralement à devenir recteur ou vicaire ; mais il s’en faut de beaucoup qu’il atteigne toujours son idéal. Le plus grand nombre ne s’élève jamais au-dessus du grade inférieur. Celui qui n’a ni influence,

  1. Ces trente-neuf articles, qui contiennent la profession de foi de l’église anglaise réformée, furent adoptés en 1571 par la reine Elisabeth et par un acte du parlement.