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vers les rives de l’Angleterre par la grande tempête qu’avait soulevée Luther dans toute l’Europe. Il serait téméraire de nier que le triomphe des idées nouvelles n’ait été aidé de l’autre côté du détroit par diverses circonstances politiques et par la raison d’état ; mais est-ce bien d’en haut qu’est parti le mouvement ? Tout porte au contraire à croire que la réformation religieuse est sortie en Angleterre du peuple et du clergé.

Les premiers docteurs révoltés contre Rome se proposaient surtout d’abolir le principe d’absolutisme dans le gouvernement de l’église. Leur œuvre ressembla, pour la lenteur et l’étendue des développemens, à ce grain de sénevé dont parle l’Évangile. Ce n’était presque rien à l’origine ; mais, à force de croître, ce germe devint un arbre sur lequel les oiseaux du ciel, c’est-à-dire les libres esprits du temps, vinrent se reposer. Après la mort de Henri VIII, sous le règne si court d’Edouard VI, les nouvelles doctrines dépassèrent de beaucoup les limites que leur avait assignées une politique ombrageuse. Combien cette église naissante ne fut-elle point troublée ensuite par les réactions sanglantes du règne de Marie Tudor, le despotisme inquiet d’Elisabeth et les ardentes controverses du temps de Charles Ier ! Le triomphe éphémère des puritains changea la forme de la liturgie, abolit l’épiscopat et remit la direction des affaires spirituelles à une assemblée (Westminster assembly) composée de cent vingt ecclésiastiques et de trente laïques. La restauration fit revivre l’ancienne hiérarchie protestante ; mais l’église dite établie (established church) était encore déchirée par de terribles divisions. Les Anglais ont aussi leur Saint-Barthélemy, ce jour-là (Saint-Bartholomew’s day), deux mille ministres durent abandonner leurs bénéfices pour n’avoir point voulu accepter le livre de prières imposé par l’autorité, et l’anniversaire de cet événement, qui eut lieu en 1662, se célèbre encore avec amertume dans les chapelles non conformistes.

Ce n’est qu’après la révolution de 1688 que l’église put enfin s’asseoir sur des bases solides. Le nom de national church qu’elle conserve encore aujourd’hui veut dire qu’elle est regardée comme orthodoxe par F autorité du pays, que la loi lui accorde le droit exclusif de prélever les dîmes et d’autres impôts, qu’elle est soutenue en partie par les fonds du trésor public, et qu’elle se trouve soumise au contrôle de l’état. Ceux qui refusent de se rallier aux croyances et aux formules de cette église officielle ont d’ailleurs la liberté pleine et entière de suivre un autre culte ; ils sont seulement tenus de contribuer de leur argent dans une certaine mesure au maintien de la foi légale (legal faith). Pendant longtemps, ils ont en outre été frappés de diverses incapacités civiles que des actes