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que tout ce qui favorise l’absolutisme accélère la décomposition et le péril, qu’une politique libérale n’est pas même seulement une condition de progrès, qu’elle est plus encore peut-être aujourd’hui, une stricte garantie d’ordre et de préservation. S’ils veulent en même temps faire de leurs finances les auxiliaires de leur politique, ils ont aussi à comprendre que le premier moyen est de répudier touts ces expédiens sans efficacité, d’en venir à réaliser hardiment de larges réformes. Sans doute, comme on dit quelquefois pour se rassurer, l’Espagne n’est point autant en danger qu’elle le paraît. Elle a entre les mains pour plus de trois milliards de réaux de propriétés nationales, c’est à-dire une fortune excédant ses charges. Qu’arrivera-t-il cependant si on continue ? On se trouvera un jour au bout sans que le crédit et les finances de l’Espagne soient reconstitués, sans que la ressource extraordinaire des biens nationaux ait servi à créer un ordre régulier et durable, et c’est bien réellement cette fois, qu’on aura jeté les fondemens de ce « grand édifice » que M. Bravo Murillo appelait « une banqueroute nouvelle. » Et si les hommes, les partis en Espagne veulent enfin assurer, à leur pays le rôle naturel que lui assignent son passé, ses intérêts et ses instincts, ils ont à se guérir de cette passion d’isolement qui les jette quelquefois dans une abstention hostile, de cette méfiance qui se tourne principalement contre la France. Il y a des partis en Espagne qui se nourrissent de ce sentiment stérile et suranné. Ils voient déjà, — ils le voient depuis quinze ans sans que cela vienne ! — la serre de l’aigle sur leurs provinces du nord. Qu’il soit question d’un chemin de fer à travers les Pyrénées, c’est une porte qu’on veut ouvrir pour aller surprendre l’indépendance espagnole. Qu’on reconnaisse l’Italie, c’est la France évidemment qui l’impose. Les partis vaincus se déguisent à eux-mêmes leurs fautes en représentant leurs échecs comme l’œuvre des influences étrangères. Le moins que puisse méditer ce terrible étranger, c’est à coup sûr de mettre la main sur la couronne de la reine Isabelle ! Croirait-on qu’il y a peu de jours à peine, au moment de la dernière échauffourée de Valence, au mois de juin, on s’est amusé à dire à Madrid, — quoi donc ? je vous le donne à deviner, — que le prince Napoléon pouvait bien n’être pas étranger à l’échauffourée, qu’il attendait peut-être l’issue en croisant quelque part ! Et c’est ainsi qu’on finit je ne dis point par ébranler, — les intérêts communs sont trop puissans, — mais par fatiguer, par énerver l’alliance la plus simple, la plus naturelle, celle qui plaît le mieux à la France, et qui est aussi la moins incompatible avec la grandeur de la nation espagnole, avec toute cette régénération libérale dont la bonne volonté des hommes pourrait si aisément faire plus qu’un rêve en Espagne.


CHARLES DE MAZADE.