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danaz. Les assemblées locales se mettent de la partie, et la députation provinciale, le conseil municipal de Madrid, par leurs protestations après le 10 avril, vont au-devant d’une dissolution qui ne manque pas de les frapper. En un mot, le trouble et le doute sont partout, absorbant et irritant les esprits, embarrassant plus que jamais la solution des questions sérieuses. Pendant qu’on s’excite ou qu’on se querelle, on met quatre mois à décider comment s’accomplira l’abandon de Saint-Domingue ; on se traîne en discussions sur les finances, pour en revenir à des expédiens qui ne font qu’aggraver la situation du trésor, en lui donnant le moyen de ne pas mourir pour le moment d’inanition.

Voilà le bilan net et clair des deux systèmes, de la politique libérale et de la politique de réaction : d’un côté un commencement de paix, de l’autre plus que jamais l’incertitude. Et comme la logique gouverne plus qu’on ne croit les affaires des hommes, même en Espagne, il y a une sorte d’intime et profond enchaînement dans le développement de cette situation qui s’aggrave de jour en jour durant quelques mois. Chaque pas qu’on fait dans la réaction ajoute au malaise du pays, et chaque progrès du malaise public pousse le gouvernement à s’avancer encore, à s’armer de quelque mesure nouvelle de défense. Les scènes du 10 avril conduisent à une tentative d’échauffourée militaire à Valence dès le mois de juin, et cette échauffourée à son tour devient un stimulant de répression. Le ministère n’a plus le temps d’attendre que les chambres discutent le projet de loi sur la presse présenté au mois de février : il demande l’autorisation sommaire de rétablir en fait et immédiatement la censure. Il n’a plus assez des mesures ordinaires de vigilance auxquelles est soumis le droit de réunion : il fait en toute hâte une circulaire (12 juin) par laquelle il donne l’ordre aux gouverneurs des provinces de dissoudre immédiatement « tous les casinos, tertulias, réunions ou sociétés, quelle que soit leur dénomination, où l’on s’entretiendrait d’affaires politiques… » La censure pour les journaux et l’interdiction de dire un mot de politique dans un casino, dans une terlulia, qu’y avait-il au-delà ? Je n’en sais, ma foi, rien. Seulement le ministère ne s’apercevait pas que dans cette voie d’aventures déjà il touchait à cette alternative en face de laquelle M. Rios Rosas venait de le placer d’une façon saisissante, — l’impossibilité de gouverner ou la dictature, c’est-à-dire des deux côtés infailliblement une révolution à court terme. C’était bien la peine d’avoir commencé par la politique du désarmement et de la conciliation ! Cette politique, suivie jusqu’au bout avec résolution, ne pouvait assurément en aucun cas conduire le cabinet Narvaez à un dénoûment plus triste, et j’ajouterai que si M. Gonzalez Bravo, soutenu par le général Narvaez, eût mis à la pratiquer, à l’imposer, au