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rassemblemens tumultueux coupés et disséminés par la force militaire lancée contre eux. Sur ce triste champ de bataille, on releva une douzaine de morts et plus de cent blessés. Parmi les victimes, la plus notable, le jeune Alfonso de Nava, était un ami du gouvernement lui-même, et il y avait eu jusqu’à des sénateurs qui, assaillis dans les rues par la garde vétérane, avaient été obligés de se réfugier dans des bouges. Le duc de Veragua, peu connu pour ses fantaisies séditieuses, était du nombre. Comme il n’y avait d’ailleurs ni plan, ni chefs, ni armes, ni la moindre trace d’une insurrection organisée, c’était fini presque aussitôt que commencé, en quelques heures : il n’y avait plus qu’à laver en toute hâte le pavé rougi de ce sang inutilement versé ; mais, en disparaissant de la rue, la question restait comme un poids sur l’opinion. Elle allait se réveiller dans les chambres, où elle était portée en quelque sorte par l’émotion publique, où elle suscitait les débats les plus passionnés, et où, malgré les efforts, malgré l’habileté de M. Gonzalez Bravo, l’opposition finissait par réunir dans un vote 105 voix, — 40 voix de plus qu’elle n’avait pu en réunir au commencement de la session.

Tout ce que peut une souple et ardente fécondité de parole, M. Gonzalez Bravo l’avait prodigué ; il avait prononcé dix discours au moins. Après avoir conduit lui-même sur le terrain la répression du 10 avril, il avait fait face à toutes les attaques dans le parlement en homme qui aurait pu, certes, jouer un autre rôle dans un ministère mieux inspiré, mais qui cédait visiblement à la fascination du pouvoir, et qui, une fois engagé dans cette voie, soutenait une défense désespérée. Un vote, M. Gonzalez Bravo pouvait sans doute l’obtenir encore d’une majorité diminuée. Ce qu’il ne pouvait changer, c’est ce fait, que dans toute cette crise la politique du gouvernement n’avait été qu’un enchaînement de fautes depuis la brutale destitution du recteur accomplie par une impatience d’autorité jusqu’à cette espèce de chasse à travers les rues contre une population désarmée. Ce qu’il ne pouvait changer surtout, c’est qu’en fin de compte, morts et blessés étaient du côté de la foule, tandis que les soldats n’avaient reçu que quelques blessures légères. Je voudrais ajouter, comme épilogue, qu’au lendemain de ces tristes scènes, le ministre de l’instruction publique, M. Alcala Galiano, mourait avec cette obsession du sang versé, en répétant, dit-on, cette date du 10 avril, qui lui rappelait une autre journée semblable de sa jeunesse libérale, et que peu après le ministère avait le désagrément de trouver devant lui au congrès le recteur destitué, M. Montalvan, que les électeurs venaient de relever de sa disgrâce pour en faire un député. Après cela, le ministère aurait eu beau se débattre, il était sous le poids d’une logique invincible,