Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stances se réveillant, une vue plus nette des choses ramenait à une solution des plus inattendues, quoique pourtant assez naturelle : la démission de l’ancien cabinet ne fut point acceptée. Et en effet quel autre ministère d’un caractère un peu sérieux pouvait se former en présence d’un parlement inconnu, élu sous d’autres auspices, avec la perspective d’une dissolution nouvelle ? C’était au contraire le ministère Narvaez qui avait présidé aux élections, qui avait travaillé à s’assurer une majorité dont il ne doutait pas ; il était donc tout simple qu’il attendît au moins la réunion des chambres pour paraître devant elles, pour leur soumettre son programme et leur déférer les questions qui, une fois posées, ne pouvaient plus être ajournées. La reine sentit la force de ces considérations aussi bien que le général Narvaez et ses collègues, qui après tout ne demandaient pas mieux que d’être convaincus, et après quatre jours d’étourdissement, de fièvre et de bruit, Madrid se réveilla avec un ministère tout ensemble vieux et nouveau. Quant aux conditions, elles se résumèrent naturellement dans des concessions mutuelles. Le ministère n’était pas en état de gagner beaucoup sur la question intime ; sur ce qui avait été le prétexte transparent, il fut entendu que, dans son discours aux chambres, la reine, — sans prononcer le mot cruel d’abandon de Saint-Domingue, après s’être glorifiée de l’annexion, — se bornerait à annoncer la proposition prochaine de mesures « d’une importance et d’une gravité considérables. »

Je m’arrête ici un instant, et je me tourne vers un des élémens essentiels de cette crise, une des plus singulières qui aient étonné et passionné Madrid depuis longtemps. La politique de l’Espagne, — et n’est-ce pas l’histoire de la politique de tous les pays ? — n’est pas assurément une simple abstraction. A Madrid comme partout, plus que partout, la politique ne se compose pas seulement de principes ; elle se compose bien plus encore des passions, des faiblesses, des caprices de ceux qui la font. Que les influences contre lesquelles se démenait le général Narvaez et dont il demandait l’exclusion existent réellement, c’est bien certain, et elles sont même de diverse nature. Il y a des influences auprès de la reine, il y a des influences auprès du roi ; elles ont un nom et se mêlent à tout, jouant quelquefois un rôle des plus actifs. A la veille même de la crise de décembre, un écrivain hardi, progressiste il est vrai, M. José Maria Diaz, publiait dans le journal la Iberia une lettre qu’on se hâta de poursuivre et qui n’était au fond qu’un résumé de tout ce qui se dit à Madrid, une sorte de photographie de personnage ? dont tout le monde parle, qui ont plus ou moins un rôle. « Le frère Cirilo de La Alameda, général des franciscains, disait-il, jouissait d’une grande influence à la cour de Ferdinand VII. Conseiller du prétendant durant la guerre civile, il prêta plus tard serment à la reine.