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tendre d’une œuvre législative qu’il n’a point faite ; il veut arriver à une complète connaissance du pouvoir répressif qui est à sa disposition et vérifier jusqu’à quel point répondent à l’intention et à l’efficacité de la loi les tribunaux qui doivent l’interpréter et l’appliquer… »


Dépouillez ce langage : en d’autres termes, à travers tous ces subterfuges et toutes ces amplifications, M. Gonzalez Bravo avouait que la politique libérale des premiers jours n’avait produit que de bons effets, que l’Espagne venait de traverser une crise d’élections sans s’émouvoir, sans qu’une certaine liberté eût enfanté un désordre, que les journaux avaient pu tout dire sans danger, sans troubler le pays, — d’où il tirait cette conclusion hardie, que le moment était venu de revenir à la politique répressive, de mettre un frein à la presse ! Ce n’était peut-être pas d’une logique bien serrée, sans compter que M. Gonzalez Bravo laissait entrevoir la possibilité d’une loi nouvelle. Je n’ajoute pas qu’il y avait assurément quelque chose d’étrange dans cet aveu presque naïf qu’on avait donné une représentation de libéralisme sur laquelle il était temps de baisser le rideau. La force que croyait se donner le ministère par des actes faits peut-être pour répondre aux puériles alarmes de quelques modérés retardataires, cette force était au moins problématique ; le coup qu’il se portait était certain et immédiat. Le ministre d’état, M. Llorente, se retirait presque aussitôt, refusant nettement de suivre le cabinet dans cette voie ; il se retirait en homme qui avait ses opinions, qui ne les avait pas cachées, qui les gardait, et qui s’en allait sans attendre la fin de la comédie. Ainsi le cabinet Narvaez n’avait pas encore deux mois d’existence qu’il était déjà entamé. Il l’eût été également d’un autre côté, dira-t-on, s’il n’avait pas donné des gages aux conservateurs effarés qui l’assiégeaient de leurs défiances et l’embarrassaient dans sa marche, C’est bien possible ; cela prouve seulement que le général Narvaez manquait dans ces circonstances de l’ascendant que donne une idée nette servie par une volonté résolue ; il flottait, et le cabinet flottait avec lui, n’étant plus déjà libéral et n’étant pas encore précipité dans la réaction. La retraite de M. Llorente, arrivant sur ces entrefaites, rendait plus sensible cette situation, découvrait le ministère et mettait à nu sa faiblesse, si bien qu’en peu de jours, presque en quelques heures, il tombait d’une crise partielle dans une crise plus générale ; mais cette fois c’était une crise prodigieuse, fantasque, étourdissante, comme on n’en voit qu’à Madrid, un véritable imbro