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existence de neuf mois, le ministère du 16 septembre a eu deux périodes distinctes, tranchées, parce qu’il portait en lui deux tendances, voilées à l’origine sous l’entrain d’une récente victoire, et confondues ou paraissant confondues dans un même sentiment des nécessités publiques. Au premier moment en effet, ce pouvoir nouveau semblait très décidé à entrer dans la voie que les circonstances ouvraient si naturellement devant lui. Il était et se montrait libéral d’intentions, de desseins, et avouait tout haut la pensée d’aborder, de résoudre successivement toutes les questions qui pesaient sur la situation de l’Espagne, avec le concours de l’opinion et des chambres. Le général Narvaez lui-même, l’heureux vainqueur du moment, n’était pas insensible à l’éclat de ce rôle de conciliante réparation ; il semblait comprendre tout à fait qu’il n’y avait point d’autre issue possible, et, à côté de lui, cette politique était particulièrement représentée dans le cabinet par deux hommes d’une singulière valeur, — le ministre d’état, M. Alejandro Llorente, intelligence juste, sagace et éclairée par l’expérience, qui ne cachait nullement son ferme dessein de ne se prêter à aucune réaction, et le ministre de l’intérieur, M. Gonzalez Bravo, l’homme qui avait le plus marqué par son opposition contre le ministère O’Donnell, qui avait assez de mouvement d’esprit pour ne pas craindre de gouverner par les idées libérales, comme aussi, par malheur, il avait assez de flexibilité pour essayer au besoin de gouverner sans elles. Gâté par une précoce élévation, — il fut président du conseil en 1844, à l’âge où l’on peut à peine être ministre, — et tourmenté depuis du désir de retrouver son ancienne fortune, nature impétueuse et prodigue, tempérament d’orateur et même de journaliste assoupli par le goût du pouvoir, homme de lutte et d’éloquence, d’imagination et de hardiesse, sinon de forte consistance, M. Gonzalez Bravo avait tout ce qu’il faut pour cette attitude qu’il acceptait, qu’il prenait, de porte-parole un peu retentissant du ministère devant le public. Il recommandait aux gouverneurs des provinces l’impartialité dans les élections qui allaient se faire ; il développait tout un programme de légalité, d’équité, de conciliation, ouvrant la porte aux progressistes, s’ils voulaient rentrer dans la vie publique : il faisait ces circulaires qui eurent un jour la fortune imprévue d’inspirer à M. Thiers la pensée de nous proposer le trop modeste idéal de la liberté comme en Espagne.

C’était certes un début plein de promesses. On n’amnistiait pas seulement les journaux, on ne les délivrait pas seulement de la maussade perspective des conseils de guerre, on allait jusqu’à leur restituer toutes les amendes dont ils avaient été frappés depuis 1858, c’est-à-dire depuis cette fameuse loi Nocedal que le général