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de Saint-Domingue s’était appelée une réincorporation. Qu’était-il arrivé ? Le procédé des agens espagnols, de M. Salazar y Mazarredo et de l’amiral Pinzon, avait soulevé le sentiment national au Pérou et préparait déjà au gouvernement de Madrid une autre querelle du même genre avec le Chili. La question s’était rapidement envenimée par suite d’une tentative de meurtre dont M. Salazar y Mazarredo croyait avoir été l’objet, et voilà un conflit allumé ou tout près de s’allumer. Au premier moment, le ministre des affaires étrangères du cabinet Mon, M. Pacheco, s’était hâté sagement de désavouer ce mot de revendication appliqué à la prise de possession imprévue des îles Chinchas ; mais l’occupation de ces îles ne subsistait pas moins, et cet incident restait dans toute sa gravité, plaçant le gouvernement de Madrid dans l’alternative de faire la guerre au Pérou ou de frapper ses agens d’un désaveu plus complet. Ici encore une politique sans précision et sans direction mettait l’Espagne entre une folie ruineuse et un acte de bon sens nécessaire, quoique toujours pénible à l’orgueil national.

La politique intérieure enfin était ce que j’ai dit déjà, un mélange de réaction impatiente, presque involontaire, et de mouvemens incohérens. Il était cependant libéral, constitutionnel, ou il voulait l’être, ce ministère de M. Mon qui vivait encore au mois d’août 1864, et il finissait, par tomber dans le piège des politiques à outrance. Tout comme un autre, il exilait les généraux, et, chose qui n’était arrivée qu’exceptionnellement aux heures des luttes les plus ardentes ; il livrait les journaux, comme en plein état de siège, à la juridiction militaire, au risque de les voir acquitter pour avoir voulu trop les frapper. Par la violence de ses procédés, il éveillait l’idée d’une crise imminente qu’il ne contribuait pas peu à provoquer. Au fond, il était très embarrassé, et il se débattait dans le vide, condamné même par les conseils de guerre qu’il érigeait en juges de la presse, errant entre les partis et considéré par tous, par quelques-uns de ses membres eux-mêmes, comme un ministère transitoire, sentant sa fin prochaine et créant sans préméditation, uniquement pour se défendre, une tension dangereuse. Le mal intérieur de l’Espagne n’était pas là seulement, il était plus encore peut-être dans les finances, dans une situation économique arrivée au dernier degré du désordre.

Que la crise économique de l’Espagne ne soit dans une certaine mesure qu’un épisode d’une crise plus étendue qui embrasse tous les pays, qu’elle tienne par quelques côtés à des causes générales, aux embarras monétaires universels, à la guerre d’Amérique, aux complications imprévues de la politique européenne, à tout ce qu’on voit et qu’on touche, cela se peut : elle a aussi certainement ses causes