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qu’il est la vraie et unique solution des problèmes contemporains, qu’on peut tout avec lui, et que tout ce qu’on fait sans lui ou contre lui n’est qu’un expédient précaire et périlleux. Quels sont les peuples qui sont le plus à l’abri des révolutions ? Ce sont assurément ceux qui jouissent régulièrement et grandement de la liberté. Quels sont ceux qui sont le plus menacés, qui vivent entre la crise de la veillé et la crise du lendemain ? Ce sont, à n’en pas douter, les peuples qui passent leur temps à se débattre sous l’étreinte intermittente des réactions absolutistes. Quand les difficultés s’amassent et que les gouvernemens assiégés d’impossibilités en savent plus que faire, quel est leur procédé invariable pour se tirer d’embarras et se rouvrir une issue ? Ils font entendre ce mot de libéralisme, qui est, à ce qu’il paraît, un cri de miséricorde dans la détresse ; quand des ministères nouveaux se forment, comment cherchent-ils à légitimer leur avènement, à se populariser ? Ils se présentent tout simplement comme plus libéraux que ceux qui les ont précédés. Et comment tombent-ils ? Parce qu’ils n’ont pas tenu leurs promesses. Les idées libérales font ainsi leur chemin par l’impuissance des réactions autant que par leur propre vertu. C’est l’expérience qui se poursuit confusément en Espagne à travers les malaises politiques, les perturbations financières, les luttes intimes, les grandes intrigues et les petites tempêtes.

Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier au surplus que se prolonge au-delà des Pyrénées cette situation où des recrudescences de réaction absolutiste alternent avec les incohérentes velléités d’un libéralisme qui s’essaie sans pouvoir se préciser, surtout sans réussir à pénétrer au cœur même de la politique ; ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Espagne voit passer des ministères qui périssent périodiquement d’impuissance et tourbillonner des partis qui ne sont plus des partis. A vrai dire, la première des faiblesses de la politique espagnole, celle qui laisse apparaître toutes les autres, c’est justement cette absence de direction, cette décadence confuse des partis qui sont les forces morales coordonnées d’un pays. C’est un fait évident que les deux grandes opinions dont les luttes ont rempli les premières périodes au régime constitutionnel au-delà des Pyrénées, et qui avaient leur organisation, leur programme, leurs représentans, n’existent plus désormais. La révolution de 1854, cette révolution préparée par les modérés, perdue par les progressistes, a achevé la déroute des uns et des autres en précipitant une décomposition qui est restée en définitive le résultat le plus clair de ce violent ébranlement.

Où en est aujourd’hui le parti progressiste, le vainqueur improvisé, embarrassé et momentané de 1854 ? Il s’est réfugié depuis