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l’acide carbonique et l’eau de manière à donner naissance à l’oxyde de carbone et à l’hydrogène. Ces deux corps réagissent l’un sur l’autre à l’état naissant, comme cela se passe dans la nature organique, et engendrent le carbure d’hydrogène. Une autre question cependant se pose ici. Nous venons de voir que le chimiste était parvenu à former de toutes pièces des matières organiques, sans recourir ni à des végétaux ni à des animaux ; peut-il en être de même dans la nature et peut-être doit-on croire qu’il se forme à la surface du globe des matières organiques par la seule influence des agens minéraux. M. Berthelot répond affirmativement, et il a consacré une des plus belles pages de son enseignement[1] à démontrer que, même en dehors de l’intervention des êtres vivans, les matières organiques peuvent être conçues et réalisées dans la nature par des voies purement minérales. Les efforts que la chimie est obligée de faire pour rattacher les premiers anneaux, d’une chaîne immense dont les diverses parties s’offrent à nous séparées, la nature n’a pas besoin d’y recourir ; elle accomplit tout sans peine par des moyens fort simples. Plus on pénètre dans le détail de la création, plus on s’aperçoit que ce qui nous paraît le plus complexe et le plus irrégulier n’est au fond que le résultat de lois simples et constantes, et nos moyens artificiels se rapprochent d’autant plus des procédés de la nature, que nous les avons simplifiés davantage. L’œuvre du génie consiste précisément à faire découler d’un petit nombre de principes facilement formulables les applications les plus ingénieuses et les inventions les plus puissantes. Eh bien, ce génie des génies dont les plus merveilleuses intelligences humaines ne sont que des réductions infiniment petites a ramené à une simplicité extrême, à la plus grande simplicité possible, toutes les opérations de la nature ; l’intelligence divine nous apparaît comme la conscience d’une loi unique et simple embrassant tout l’univers, et dont les applications indéfinies engendrent une multitude de phénomènes qui se groupent par analogie et sont régies par de mêmes lois secondaires découlant de la loi primordiale.


III

Maintenant que nous avons fait connaître les conquêtes les plus importantes de la chimie organique, jetons les yeux sur les conséquences qui semblent en découler, et tâchons d’apprécier l’extension qu’elles peuvent prendre. Il y a là de graves problèmes philosophiques qu’il n’est pas hors de propos d’aborder.

Un premier fait qui frappe, c’est la variété infinie de composés

  1. Leçons sur les méthodes générales de synthèse en chimie organique professées en 1864, p. 184.