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laquelle elle en joignit une autre conquise sur un empire rival, celui de la médecine, dont le vaste territoire allait aussi se démenbrant. Elle ne fut d’abord que la recherche de la pierre philosophale et de l’élixir de longue vie, puis elle emprunta à l’art des apothicaires quelques notions, quelques procédés qu’elle perfectionna. Occupés de la détermination des lois auxquelles obéissent les corps dans leur transformations, les chimistes furent peu à peu conduits à scruter les combinaisons de tous les corps entre eux et leurs diverses propriétés. Alors un champ presque sans limite s’ouvrit à leurs investigations. On vit apparaître dans les laboratoires une multitude de corps dont on ne soupçonnait pas auparavant l’existence. A force de répéter les fusions et les mélanges, on décomposa en des éléments plus simples des substances que l’on avait cru élémentaires. En mettant en présence, sous diverses conditions, les corps nouvellement découverts, on en créa de toutes pièces qui se retrouvèrent dans d’autres matières où ils s’étaient dissimulés. On fut ainsi amené à rechercher les principes de la matière partout où ils pouvaient être contenus, en sorte que la chimie ne s’offrit plus seulement comme l’art de décomposer les corps, comme l’étude de leurs propriétés utiles ou curieuses, elle s’éleva rapidement à la hauteur de la science de la matière même, de la matière envisagée sous toutes ses formes, dans tous ses agrégats et ses composés ; elle devint la connaissance des lois et des conditions physiques qui président à la formation des corps, à leurs décompositions, à leurs transmutations.

Ainsi reconstituée, la chimie tend à être la science physique par excellence, la science maîtresse de toutes les autres sciences physiques, car rien n’existe ici-bas qui ne soit un composé plus ou moins complexe et plus ou moins stable de molécules ; rien n’existe où ces molécules ne se trouvent associées ou combinées d’après les lois de leur nature propre, sans échapper pour cela aux influences des forces et des molécules extérieures. Tout ce qui croît, végète ou vit, comme tout ce qui a figure et mouvement, est matière, ou du moins a dans la matière un de ses principes constituans. On ne saurait donc expliquer aucun phénomène, aucune fonction organique, aucune influence d’un corps sur un autre, aucune production, aucune métamorphose, sans remonter aux propriétés des molécules elles-mêmes, autrement dit sans consulter la chimie. Si cette science ne remplace pas toutes les autres, elle s’en fait du moins des vassales, et plus elle grandit et se fortifie, plus elle étend son hégémonie. Déjà la minéralogie n’est plus en réalité qu’une suite de chapitres détachés de la chimie ; la cristallographie, une autre de ses branches ; l’agriculture, à son tour, une application de la