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pareils, s’écartant de la réserve prudente dont il avait fait la règle de sa vie, sont devenus chrétiens ? Tacite, parlant d’une personne de sa famille, Pomponia Græcina, qu’il appelle une noble femme, nous dit que, sous le règne de Claude, « elle fut accusée de s’être livrée à une superstition étrangère. » Cette superstition ne pouvait être que la religion des Juifs ou le christianisme, et j’avoue que quand je vois la tristesse sévère dans laquelle Pomponia passa quarante ans de sa vie (per quadraginta annos non cultu nisi lugubri, non animo nisi mœsto egit), je ne puis m’empêcher de croire qu’elle était chrétienne. Faut-il voir dans ces Pomponius dont on vient de retrouver les tombeaux des gens de sa famille qui se seraient faits chrétiens comme elle ? Les épitaphes sont si brèves qu’elles ne permettent pas de rien affirmer. Heureusement M. de Rossi a fait tout près de là une découverte plus importante pour fixer l’âge de la crypte. Dans l’étage le plus élevé, qui a été creusé le premier, il reste deux chambres à peu près intactes que la dévastation a respectées. Les murs ont encore presque tous leurs revêtemens de stuc ; les peintures qui les couvrent n’ont souffert que des injures du temps, qui est beaucoup moins impitoyable que les hommes. Ces peintures sont très remarquables. Par la grâce des détails et la perfection du dessin, elles rappellent ces arabesques charmantes des thermes de Titus que Raphaël a reproduites dans les stanze du Vatican ; elles doivent être à peu près de la même époque. Le savant M. Welcker, si habile dans la connaissance de l’antiquité figurée, a déclaré qu’on ne pouvait pas les reculer beaucoup plus que la fin du Ier siècle.

Toutes ces remarques faites par M. de Rossi à propos de la crypte de Lucine ont une importance qui ne peut échapper à personne. A vrai dire, son œuvre est à peine commencée : il n’a parlé encore que d’une seule partie de l’un des cimetières de Rome, et il se propose de les étudier tous en détail ; cependant on aperçoit déjà les conclusions auxquelles l’ouvrage entier doit aboutir. Ces conclusions sont nouvelles et imprévues, et, quoiqu’elles ne soient pas encore appuyées de toutes les preuves que M. de Rossi y ajoutera dans la suite, à mesure qu’il complétera son travail, je crois bon de les signaler. Vingt ans de fouilles et d’études dans les catacombes ont modifié pour lui les idées qu’on se fait d’ordinaire sur la propagation du christianisme à Rome. M. de Rossi croit que la religion nouvelle a pénétré plus tôt qu’on ne le pense dans les hautes classes de la société, et que le « grand monde » est venu à elle presque aussi vite que les « pauvres gens. » Ce n’est donc pas, comme on le répète, une doctrine qui pendant longtemps a fait son chemin sans bruit dans les ergastules d’esclaves ou les échoppes d’ouvriers. Elle