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l’appelle la Jérusalem des martyrs. Aussi M. de Rossi ne l’embrasse-t-il pas d’un seul coup. Il veut en étudier une à une les diverses parties, pour les étudier mieux. Il commence par une des cryptes qui, tout unie qu’elle est au vaste cimetière, formait à elle seule un petit ensemble qui avait son nom et son histoire, la crypte de Lucine.

C’est ici que toutes les idées émises par M. de Rossi dans son introduction, et qui viennent d’être analysées, reçoivent une confirmation manifeste. La crypte de Lucine est évidemment un de ces hypogées qui remontent aux premiers temps, du christianisme. Elle occupe un espace de cent pieds de long sur cent quatre-vingts de large : c’étaient les limites du champ acheté, par Lucina, et dans lequel elle a fait construire un tombeau pour elle et pour ses frères. Nous reconnaissons l’étendue ordinaire de ces terrains attenans au sépulcre dont la possession a permis aux chrétiens de fouiller le sol sans danger. Sur ce terrain, on retrouve les restes d’un monument antique qui devait avoir grande apparence, à en juger par les fondations, qui ont seules survécu ; c’était sans doute un de ces édifices funèbres, un de ces memoriœ martyrum, qui s’élevaient sur le sol extérieur, au-dessus des tombeaux. Tout nous prouve donc que nous sommes en présence d’une de ces anciennes catacombes, régulières et limitées dans leur étendue, qui ont été le principe des grands cimetières chrétiens. Si nous voulons des preuves plus décisives pour établir avec sûreté l’antiquité de la crypte, l’examen attentif des galeries nous les fournira. Elles forment deux étages ; au fond de l’étage inférieur, dans une sorte d’enfoncement qui a été plus tard orné de peintures byzantines et très visité des pèlerins, M. de Rossi a eu la bonne fortune de découvrir le tombeau, du pape saint Corneille. Ce tombeau lui donnait une date certaine. Saint Corneille a été martyrisé en 252 ; le second étage de la crypte est donc antérieur à cette année. Quant au premier, diverses raisons firent penser tout d’abord à M. de Rossi qu’il avait été construit bien avant l’autre. En parcourant les galeries, il fut très étonné d’y rencontrer réunies presque au même endroit les tombes d’une Annia Faustina, d’une Licinia Faustina, d’une Acilia Vera, d’un Annius Catus. Ces noms appartiennent tous à la famille des Antonins. Faudrait-il supposer que les descendans de Marc-Aurèle ont fini par embrasser une doctrine qu’il avait lui-même mal connue et défavorablement jugée ? Ailleurs M. de Rossi ne fut pas moins surpris de lire sur des pierres brisées les noms les plus illustres de l’aristocratie romaine : il y a là des Æmilius, des Cornélius, et, par un rapprochement assez étrange, des Cæcilius, des Pomponius, des Atticus. Ce sont précisément les trois noms que portait l’ami de Cicéron. Devons-nous croire que ses petits-fils ou ses