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Les meilleures ne contiennent qu’un nom propre et une date ; celles qui ajoutent quelque chose imitent d’ordinaire les inscriptions profanes et d’une façon qui nous surprend. C’est ainsi qu’on y retrouve assez souvent l’invocation païenne aux dieux mânes (diis manibus) ; même quand elle cherche à s’éloigner des traditions du paganisme, l’épigraphie chrétienne n’invente pas, elle imite. Les formules qu’elle emploie le plus fréquemment, lorsqu’elle commence à employer quelques formules, sont, avec celle-ci : « vivez en paix, » qui est d’origine juive, cette autre qui paraît au premier abord plus originale : « que Dieu vous donne le rafraîchissement ! » Or Tertullien nous apprend que c’est la prière que les dévots d’Osiris faisaient graver, sur leurs tombeaux. Il serait facile de pousser plus loin ces rapprochemens, et l’on serait surpris de voir jusqu’à quel point les cimetières chrétiens, même dans les plus petits détails, reproduisent les tombes païennes. A la vérité, je n’insiste ici que sur les ressemblances, et je suppose un observateur un peu superficiel et qui regarde vite. Je sais bien qu’on pourrait montrer que ces rapprochemens apparens étaient souvent trompeurs, qu’en réalité les sépultures, chrétiennes, à certains signes plus cachés, se distinguaient des autres, puisqu’il est possible de les reconnaître aujourd’hui. Il me semble surtout que cette absence de titres officiels dans les épitaphes, la rareté de ces mots d’esclave et d’affranchi pouvait donner beaucoup à penser à un esprit attentif. Il n’en est pas moins vrai qu’à première vue les ressemblances l’emportaient, et l’on comprend bien que ces ressemblances aient protégé les catacombes. Des gens qui retrouvaient dans ces tombeaux presque toutes leurs habitudes et leurs usages se sentaient naturellement portés à les respecter.

Je crois qu’il devient facile maintenant de répondre aux objections de ceux qui ne voulaient pas admettre que les chrétiens eussent creusé les catacombes. S’ils demandent comment une société pauvre et proscrite a pu accomplir un si grand ouvrage, on peut leur dire qu’ils ne savent pas la puissance de l’esprit d’association mis au service d’une doctrine nouvelle, et qu’il est probable d’ailleurs que le christianisme a compté des personnes riches parmi ses premiers adeptes. S’ils veulent connaître ce qu’on a fait de la terre qu’on en a tirée, on peut leur répondre qu’on n’en sait rien, mais que les chrétiens pouvaient la mettre où la portaient déjà les Juifs, les adorateurs de Sabazius et de Mithra, et tous ceux qui fouillaient le sol romain pour leurs sépultures, sans qu’on songeât à les en empêcher. Ce qu’on voyait faire tous les jours par les uns ne pouvait pas surprendre chez les autres, et il n’y avait guère moyen d’interdire ici ce qu’on permettait ailleurs. Si l’on s’étonne enfin qu’ils aient pu si longtemps cacher leurs cimetières aux yeux vigilans de l’autorité, on affirmera qu’au moins à l’origine, et pendant près de deux