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réunion ? A quel titre les possédaient-ils, s’ils les ont possédés tranquillement, et par quel moyen ont-ils fait respecter leurs cimetières de l’autorité civile, dont ils violaient ouvertement les prescriptions ?

Ici encore il est probable que la société chrétienne se couvrit habilement de certains usages romains. Il y eut surtout une institution importante et mal connue qui, plus que tout le reste, protégea les catacombes. Il convient d’en dire quelques mots pour qu’on puisse se rendre compte des raisons qui éloignèrent si longtemps d’elles les sévérités du pouvoir.

L’empire avait, autant que possible, aboli le droit de réunion, qui lui faisait peur. Il existait cependant certaines sociétés dont il croyait avoir moins à craindre, que non-seulement il autorisait, mais qu’il semble avoir protégées. C’étaient celles qu’on appelait les sociétés des pauvres gens (collegia tenuiorum). Comme après tout il gouvernait au nom de la démocratie et qu’il tenait d’elle son pouvoir, il la flattait volontiers, et il aimait à se montrer empressé pour elle ; mais quel était le but précis de ces associations privilégiées ? M. Mommsen l’a fait voir le premier[1] : c’étaient des sociétés pour les funérailles (collegia funeraticia). Ces pauvres gens se réunissaient et contribuaient par égales portions, afin qu’on trouvât à leur mort de quoi les faire enterrer. Peut-être sera-t-on surpris aujourd’hui que des gens qui avaient à peine de quoi se nourrir aient tant songé à leur sépulture, et qu’ils se soient beaucoup plus préoccupés de leur mort que de leur vie. Les anciens ne pensaient pas là-dessus comme nous. Les idées religieuses augmentaient alors l’horreur instinctive qu’on éprouve à être privé des honneurs funèbres. Mécène avait dit dans un vers célèbre : « Je ne me mets pas en peine d’un tombeau ; la nature se charge d’enterrer ceux qu’on oublie, sepelit natura relictos, » mais Mécène était un esprit fort, et sur ce point les esprits forts étaient rares. Malgré les progrès de l’incrédulité, le souci de la sépulture continuait à préoccuper tout le monde. Les pauvres gens en étaient surtout tourmentés. Aussi, tandis que les riches se faisaient construire d’avance de somptueux tombeaux, les pauvres formaient des associations qui leur permettaient ou bien d’en avoir un pour eux seuls, ou tout au moins de trouver une petite place dans celui des autres. Les empereurs, qui voyaient que la politique était étrangère à ces associations, les avaient approuvées. Un sénatus-consulte, souvent cité dans les inscriptions, les autorisa toutes d’un coup, sous la réserve expresse « que les sociétaires ne se réuniraient qu’une fois par mois pour

  1. Voyez son savant mémoire intitulé De collegiis et sodaliciis Romanorum. Il serait bien à souhaiter que la question fût examinée plus en détail, et qu’on eût enfin, avec l’aide des lois et des inscriptions, une histoire complète du droit d’association à Rome. Ce travail jetterait beaucoup de lumières sur les origines du christianisme.