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crainte ses cimetières. Il y en avait un, et tout porté à croire qu’il s’en est servi. C’était l’usage à Rome que celui qui se faisait construire un tombeau désignait d’avance les gens qu’il voulait y admettre avec lui. Il le partageait ordinairement avec sa famille, s’il était généreux il y recevait ses cliens et ses affranchis. C’était sa propriété ; il en disposait librement, et personne n’avait le droit de contrarier sa volonté. M. de Rossi, se fondant sur cet usage, pense que les catacombes ont commencé par être des tombeaux particuliers possédés par de riches chrétiens, et où, au lieu de leurs affranchis ; ils ont admis leurs frères. Ce qui rend cette opinion très vraisemblable, c’est la façon dont elles sont désignées dans les plus anciens documens. On les appelle ordinairement d’un nom propre qui n’est pas celui des martyrs ou des confesseurs qui y sont ensevelis. C’est probablement le nom du premier propriétaire du tombeau, de celui qui a payé le terrain et fait construire la crypte. Dans ces conditions, on comprend que la construction des premières catacombes n’ait causé aucune surprise à la société païenne, et qu’elle n’ait point été contrariée par le pouvoir. De pieuses femmes, qui ont été dès le premier jour les adeptes les plus fervens du nouveau culte, Domitilla, Lucina, Commodilla, des gens riches et généreux, comme Calépodius, Prætextàt ou Thrason, se sont fait élever d’avance un somptueux tombeau. — Il n’y avait rien de plus naturel, tout le monde faisait comme eux. — Ils ne l’ont pas construit pour eux seuls, — c’était encore une habitude assez générale ; — ils ont voulu y reposer avec ceux qui partageaient leurs croyances, — ceci était plus rare, mais non pas sans exemple, et l’on voit quelquefois dans les inscriptions que les adorateurs du même Dieu tiennent à être enterrés ensemble. Ce tombeau où tant de gens étaient reçus n’en appartenait pas moins à Thrason ou à Commodilla. C’était toujours une propriété privée, qui, comme les autres, était garantie par la loi.

S’il en est ainsi, il est visible que les chrétiens n’avaient aucune raison de cacher au public leurs tombeaux, et nous avons en effet la preuve qu’ils ne les cachaient pas. Il y a quelques mois à peine, ces fouilles ont mis à découvert l’entrée d’un des plus anciens cimetières de Rome, celui de Domitilla[1]. Cette entrée dément tout à-fait l’idée qu’on se faisait autrefois des catacombes. C’est une porte d’une architecture simple et classique, qui dénote une bonne époque de l’art. Au-dessus du fronton, on voit la place d’une inscription qui a disparu. Par la porte, on pénètre dans un vestibule orné de peintures gracieuses qui offrent des scènes champêtres

  1. M. de Rossi a rendu compte de ces fouilles dans le Bulletin d’Archéologie chrétienne du mois de mai et de juin.