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de Cyprien. Pour le reste, les fidèles étaient libres, et Ils usaient de leur liberté. Ainsi nous les voyons faire quelquefois usage de sépultures isolées. On a retrouvé l’épitaphe de deux époux qui disent qu’ils se sont fait construire un lieu de repos dans leur jardin (in hortulis nostris secessimus), et qui ne semblent pas s’en excuser. Une autre pierre tumulaire contient une formule égoïste, mélange bizarre d’habitudes païennes avec des termes chrétiens, par laquelle le possesseur du tombeau cite au jugement du Seigneur quiconque essaiera d’introduire un autre mort dans le monument qu’il occupe et les terres qui l’entourent ; il les veut toutes pour lui seul. En général cependant, d’autres sentimens préoccupaient les chrétiens. Comme je le disais tout à l’heure, ils éprouvaient le besoin de reposer ensemble. Ils voulaient être unis dans la mort, comme ils essayaient de l’être dans la vie. Dès les premiers jours, on se groupa instinctivement autour des évêques et des martyrs, et dans la chrétienté tout entière se formèrent bientôt ces réunions de tombes auxquelles on donna le nom de lieux de repos ou de sommeil (accubitorium, χοιμητήριον). Seulement ces cimetières, suivant les pays, étaient situés en plein air ou se cachaient sous la terre. A Rome, on préféra les sépultures souterraines. Est-ce parce qu’on était là davantage sous les yeux du pouvoir et qu’on redoutait sa surveillance ? Je ne le crois pas. C’était plutôt pour rester fidèle aux traditions de l’église naissante, qui, en sortant de la communauté juive, avait conservé d’elle cette habitude. C’était surtout pour imiter le tombeau du Christ, dont la vie et la mort étaient l’exemple des chrétiens. Il n’est pas douteux que le sépulcre de Joseph d’Arimathie, « qui n’avait pas servi et qu’il avait fait tailler dans le roc, » avec sa niche horizontale, surmontée, comme unique ornement, d’un arceau cintré[1], n’ait servi de modèle aux premières tombes chrétiennes.

Voilà quelle fut l’origine des catacombes. Quant à leur histoire, elle est plus difficile à retrouver, surtout si l’on prétend remonter jusqu’à l’époque primitive ; Les documens nous font défaut pour les deux premiers siècles ; on est réduit aux conjectures. Celles de M. de Rossi ont un degré de vraisemblance qu’on n’avait pas encore

  1. Ces niches creusées dans le mur s’appellent loculi. Les arceaux cintrés qui les surmontent ont reçu le nom d’arcosolia. Ces arceaux ne se retrouvent, pas sur toutes les tombes, mais seulement sur celles des personnages les plus importans. On trouvera de plus amples détails sur ces mots dans le Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de l’abbé Martigny. Je profite de cette occasion pour recommander cet excellent livre, indispensable à tous ceux qui veulent étudier les principes de l’archéologie chrétienne, utile aux gens du monde pour l’intelligence de bien des mots qu’on lit et qu’on répète sans les comprendre qu’à moitié. Ils sauront beaucoup de gré, quand ils s’en serviront, à l’homme modeste et distingué qui a su réunir tant de connaissances solides sous une forme agréable et commode.