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mettent aujourd’hui sur les steamers et dans les chemins de fer.

Ils étaient venus en troupe, et je pus constater leur ressemblance pour les traits principaux avec la race mongole. Ils sont non pas tout à fait rouges, mais fortement cuivrés ; ils ont les yeux noirs et brillans, le crâne étroit, le nez épaté, les pommettes saillantes, la bouche grande et forte. L’air du visage est dur, énergique, et, tout inoffensifs qu’ils sont devenus, empreint encore d’une sauvagerie farouche. La race, même apprivoisée, à des instincts violens et sanguinaires qui sont indélébiles. Les hommes, pour la plupart, sont affreux. Les bonnes et larges figures des nègres ne sont pas si repoussantes que ces museaux féroces de bêtes fauves dégradées. Ils sont vêtus à l’européenne, avec des chemises de laine et des chapeaux de paille. Les femmes conservent dans leur accoutrement mêlé quelque chose de pittoresque et de bizarre qui rappelle les zingaros d’Europe. Elles se drapent dans de grande manteaux de couleur obscure, à bordures voyantes et souvent un peu troués ; leur tête est couverte soit d’un long voile, soit d’un chapeau de feutre fièrement retroussé. Elles ont ce luxe mêlé de misère de tous les peuples à demi barbares et ce goût des verroteries éclatantes qui d’ailleurs sied si bien à leur peau sombre. Il leur faut des pendans d’oreilles, des bracelets, des colliers de perles, souvent avec des guenilles. L’une d’elles avait aux pieds des bottines vernies. J’ai remarqué telle vieille femme au nez arqué, à l’œil perçant, à la bouche serrée, à la démarche ferme et virile, à l’air noble et fier, qui semblait taillée dans le bronze dont elle avait la couleur ; telle jeune fille aussi dont la brune beauté ne manquait ni de grâce ni de douceur, plus pâle d’ailleurs et portant évidemment la trace d’un mélange. Leur tribu est une des plus civilisées : elle habite à Caghnawaga, près de Montréal, parle français et professe la religion catholique, car le français, langue des premiers conquérans, est devenu celle de tous les vaincus, comme en Angleterre la langue saxonne après la conquête normande.

Ailleurs les survivans de la race déchue rôdent en bandes nomades, vivant de rapines, d’aumônes, et de toutes ces petites industries qui sont la ressource des vagabonds. Après la chasse et la guerre, la mendicité est leur existence naturelle. Quand la civilisation américaine aura conquis le reste de leur terre, les Indiens seront les bohémiens de l’Amérique, condamnés comme eux à s’éteindre dans la misère et l’abjection. Ce n’est pas qu’ils soient inférieurs par nature ; on a des exemples nombreux de leur intelligence. On cite le général Parker, chef d’état-major du général Grant, qui est Indien de naissance. On peut enlever un individu à la barbarie ! mais un peuple entier ne peut être pris en tutelle : il faut qu’il choisisse entre la servitude et la mort.