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fautes. Revenant au pouvoir avec le rétablissement de l’Union et l’abolition de l’esclavage, atteignant par la paix le but que leurs adversaires poursuivent vainement par la guerre, les démocrates s’y assureraient un grand rôle et une longue durée. Qu’ils acceptent le fait accompli, qu’ils s’emparent du drapeau national, qu’au lieu d’être des ennemis cachés et des traîtres à leur pays, ils deviennent un parti politique qui dispute à un autre l’honneur de sauver la patrie commune, et la présidence est à eux : c’est l’avis de quelques hommes éclairés, que ne dominent point les passions de la foule ; mais s’ils espèrent remonter le courant, ils y seront eux-mêmes emportés. Il y a en Amérique un despotisme tout-puissant que personne ne brave, celui de l’opinion. Quiconque veut marcher dans ses propres voies avec indépendance est un homme perdu.

Quand le vice-président de la confédération rebelle, Alexandre Stephens, prononçait dans la convention de la Géorgie ce discours célèbre qui restera l’acte d’accusation du sud, lorsqu’il adjurait ses concitoyens de ne pas déchirer la constitution et de ne pas livrer leur pays à l’horreur d’une injuste guerre civile, qui eût prédit que le même homme deviendrait en peu de jours l’un des plus fougueux champions de la révolte ? Il en sera de même des chefs du parti démocrate modéré : ils seront entraînés à des actes qu’ils réprouvent et dont ils rougiront.

Du lac Ontario, 4 août.

J’ai dit adieu au Niagara à la lueur d’un orage nocturne. A chaque éclair qui passait sur leur face blanche, les cataractes s’illuminaient comme un palais de fées. Quelquefois, entre l’éblouissement et les ténèbres, on eût dit une montagne de glaces. Ce pâle fantôme, entrevu soudainement et rentré aussitôt dans la nuit, semblait la vision fugitive d’un monde merveilleux.

De Niagara à Lewiston, où l’on s’embarque sur le lac Ontario, le chemin de fer suit en corniche les ondulations du ravin. Ce défilé est superbe, surtout quand la vue passe au-dessus des premiers plans escarpés de la vallée et va se reposer au loin sur la ligne bleue du grand lac ou sur la contrée plus douce qui l’environne. A peine embarqué cependant, j’ai perdu toute illusion sur ces vastes mers intérieures. Le lac produit l’effet d’un océan monotone, sans vagues, sans tempêtes ni terreurs…

5 août. Sur le Saint-Laurent, puis à Montréal.

Nous nous éveillons en pleine rivière. D’abord étonné de la largeur médiocre du Saint-Laurent, je m’aperçus bientôt que les côtes basses que nous longions étaient des îles qui en déguisaient la grandeur. De temps à autre, leurs rangs serrés s’entr’ouvrent et