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cerne, » pour mieux respecter l’anonyme et le caractère officieux des négociations. Il était prêt, disait-il, dans un langage amphigourique qui serait un modèle de style diplomatique, à négocier avec le sud, pourvu qu’on lui garantît « la pleine et entière restauration de l’Union dans son intégrité territoriale, et l’abandon de l’esclavage par les états séparés, sous des conditions qui, en respectant le droit de propriété de tous les citoyens loyaux, donnassent ample sécurité contre une autre guerre entreprise pour l’intérêt de l’esclavage. » Pour quiconque a l’habitude des oracles présidentiels, cela voulait dire qu’il repoussait toute condition favorable à l’esclavage. Ainsi du moins l’entendirent les malencontreux négociateurs, et le rideau tomba au milieu de la risée publique. Les journaux confédérés ont chanté victoire. Il faut voir comme ils s’amusent du naïf Greeley, comme ils raillent « la sotte infatuation des hommes du nord, qui se sont figuré qu’un sénateur et un représentant du congrès de Richmond viendraient humblement et mains jointes adorer l’empereur des Yahous dans sa capitale, implorer à deux genoux sa merci, et qui n’ont pas compris que ces soi-disant propositions pacifiques n’étaient qu’une insultante dérision. » Voilà le ton des moqueries que reproduisent avec complaisance plusieurs journaux démocrates. Leur triomphe est-il sincère ? Je vois dans ces railleries plus d’amertume que de gaîté. Ce n’est un mystère pour personne que la conférence ne fut qu’un stratagème des démocrates et des sudistes coalisés ; ils n’ont lancé ce ballon fragile à leurs adversaires que pour les y embarquer et les perdre : qu’ils y restent donc suspendus eux-mêmes ! Le sentiment public serait bien dépravé si cette manœuvre odieuse ne tournait pas contre ceux mêmes qui l’ont inventée.

Le plan de campagne des démocrates consiste à donner au gouvernement de Lincoln une renommée d’obstination aveugle et de rancuneuse hostilité. C’est pour le moment toute leur politique. Trois années de guerre sans résultat disposent un peuple fatigué à prêter l’oreille aux partis qui prennent la paix pour mot d’ordre. Quoique divisés entre eux, les démocrates s’entendent pour faire de ce mot unique le symbole général de leur opinion. Les plus avancés veulent la séparation pure et simple et l’indépendance du sud, les autres veulent le rétablissement de l’Union, mais sous l’influence prépondérante des rebelles et sur la pierre angulaire de l’esclavage reconstitué. Quelques-uns enfin, les honnêtes et les sages, acceptent les faits irrévocables, renoncent à l’esclavage, et espèrent obtenir un compromis qui ralliera toute la nation : ce sont les anciens war-democrals de Tammany-Hall, dont l’appui porta M. Lincoln à la présidence et fit le succès des républicains. Tous, depuis les plus extravagans jusqu’aux plus modérés, s’accordent aujourd’hui à par-