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gara pour y fixer ensemble les fondemens d’une union nouvelle. Et remarquez en passant ce trait curieux des mœurs américaines : un parti s’organise, se discipline, déclare la guerre au pouvoir régnant, se partage même d’avance sa dépouille, et pousse la hardiesse jusqu’à susciter des plénipotentiaires bénévoles qui traitent avec l’ennemi ! On publia, même le résultat des conférences : abandon par le sud des esclaves déjà libres, consécration de l’esclavage pour ceux qui n’étaient pas encore affranchis, enfin reconnaissance de la dette confédérée. Tel était ce traité in petto dont les démocrates se hâtèrent de divulguer le secret. L’opinion ne s’y trompa guère et n’y vit qu’une manœuvre. Cependant le mot de paix, répété par tous les échos de la presse, exerçait un pouvoir insensible sur les esprits fatigués ; on se prit à désirer que la tentative fût sérieuse. Les conditions, modérées en apparence, étaient pourtant bien lourdes et bien humiliantes. Le sud n’abandonnait rien qu’il n’eût déjà perdu, il se faisait même payer les frais de la guerre ; le nord au contraire faisait à son ennemi d’énormes concessions matérielles et morales. C’était pour le sud une victoire complète, pour le nord une capitulation sans dignité.

Les choses en demeuraient là, et l’attention publique allait s’endormir, quand pour la ranimer MM. Clay et Saunders résolurent, à l’instigation des démocrates, de pousser plus loin la comédie. Sans aucune instruction de leur gouvernement, sans aucun titre officiel, ils se donnèrent au président pour des messagers de paix, et demandèrent un sauf-conduit afin d’aller à Washington « échanger avec lui leurs sentimens. » En tout autre temps, il eût été de la dignité du président de laisser tomber une ouverture ainsi faite ; mais l’approche de la crise électorale lui impose une extrême prudence. M. Horace Greeley, rédacteur du journal la Tribune, à qui s’étaient adressés les prétendus ambassadeurs, fut officieusement autorisé à entrer en négociations. Tout à coup cependant ces pacificateurs qui semblaient si accommodans élèvent des prétentions énormes. Il ne s’agit plus seulement des conditions acceptées par leurs amis les démocrates. Aux deux clauses que je vous ai dites, ils en ajoutent une troisième encore plus insolente : ils exigent que le gouvernement fédéral, en reprenant dans le sein de l’Union ses membres rebelles, admette la pernicieuse doctrine du droit de sécession, c’est-à-dire qu’il défasse d’une main ce qu’il fait de l’autre, et qu’il ruine l’avenir de l’Union pour obtenir une trêve hypocrite et fragile. M. Greeley, qui avait pris chaudement l’affaire, fut confondu, et annonça en toute hâte au président son naufrage prématuré.

Celui-ci répondit par un message un peu nuageux, rédigé avec une précaution extrême et adressé en général « à qui cela con-