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une maladie bien moins connue que le choléra, qui frappe des animaux et non des hommes, pour le rinderpest, pour la peste de la race bovine, on n’a point éprouvé les mêmes hésitations ; on a cru à la contagion, on a prohibé l’exportation, on a ordonné la destruction des animaux affectés, on a tracé au public ses devoirs avec toute l’assurance d’une autorité qui ne connaît point le doute. On n’a pu qu’approuver à cette occasion la décision et la promptitude du ministre du commerce. La santé des hommes, grâce aux incertitudes auxquelles elle se livre elle-même dans le choc des controverses médicales, a été protégée avec moins de bonheur. Les Marseillais disent que ce n’est point au ministère du commerce que devrait appartenir la direction des établissemens et des mesures sanitaires. Ils voient là une contradiction entre l’intérêt et la fonction. Les ministres du commerce, prétendent-ils, sont les adversaires-nés des quarantaines, parce qu’ils y voient un obstacle aux mouvemens et aux intérêts commerciaux. Cette défiance des Marseillais nous paraît injuste. Il n’y a pas de ministre, quel que soit le titre de son portefeuille, qui puisse mettre un intérêt commercial quelconque en balance avec l’intérêt supérieur de la conservation de la santé générale d’une ville ou d’un pays. L’intérêt commercial n’est-il pas d’ailleurs profondément atteint à l’instant même où la santé générale est compromise ? Qu’on voie ce qui est arrivé pour Marseille. Son commerce eût été à peine gêné par des quarantaines qui eussent mis sa population à l’abri des provenances suspectes, tandis que son commerce a été gravement paralysé dès que le choléra a éclaté dans ses murs. Sans parler de l’émigration d’une grande partie de ses habitans, partout dans la Méditerranée et, chose piquante, à Alexandrie même, ses propres navires ont eu à subir la quarantaine. Au surplus, l’enseignement de l’épidémie actuelle a parlé très haut à l’esprit du gouvernement, et l’on peut être sûr qu’à l’avenir des mesures efficaces seront prises dans nos ports de mer, car notre prévoyance, aiguisée par une expérience funeste, s’étend désormais sur le foyer originel de l’infection cholérique, et veut imposer l’organisation de précautions sanitaires en Égypte et en Arabie, à Suez et à Djeddah. L’épidémie vagabonde de 1865 aura ce double honneur de faire entrer le choléra parmi les élémens de la question d’Orient et de faire du choléra l’objet d’une conférence diplomatique et le lien d’un nouveau concert européen. Le choléra est endémique parmi les populations centrales de l’Arabie ; nous en sommes informés par le beau livre que vient de publier sur ce pays un intrépide voyageur anglais, M. Palgrave, le seul Européen qui ait parcouru et visité à loisir l’intérieur de la péninsule arabique. Les diplomaties de la chrétienté vont se croiser pour atteindre le monstre dans son antre, auprès du tombeau de Mahomet, dans ces lieux où les hadjis font une si grande boucherie de bêtes de toute sorte, et renouvellent chaque année ces affreux et pestilentiels charniers qui engraissent le choléra, plus vorace et plus cruel qu’Allah. Nous souhaitons beaucoup