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haute juridiction administrative du pays soit appelée à se prononcer sur la prétention si nouvelle, si peu conforme à l’esprit de nos lois, qui voudrait placer les avertissemens au-dessus de toute appréciation critique. L’exemple du Courrier du Dimanche, qui a fait établir une jurisprudence précise sur les suspensions, démontre que ce n’est point en vain que l’on fait appel aux lumières et à l’équité de notre premier corps administratif. Nous espérons que les efforts de la Gazette ne seront pas moins heureux.

On voit à quelles conséquences désagréables aboutissent les petites tracasseries de la politique intérieure dans un système qui n’a point pris encore le parti de s’accommoder d’un outillage suffisant de liberté. A notre sens, nous le répétons, un redoublement de sévérité envers les journaux ne serait point politique dans les circonstances présentes. Beaucoup de bons esprits très modérés, fort conservateurs, guidés ordinairement par un sens pratique exercé, commencent à être frappés des inconvéniens graves qui résultent du régime actuel de la presse. Ils s’aperçoivent que ce n’est pas seulement la vie politique qui souffre du trop rigide enchaînement des journaux, que ce système restrictif peut être exploité à l’avantage d’intérêts qu’aucun gouvernement ne doit encourager, tandis que des intérêts sains, solides, respectables, se trouvent exposés à être privés des moyens de publicité qui leur sont nécessaires. Il y a là une démonstration pratique de l’utilité et de la nécessité de la liberté de la presse qui se fait d’une façon insensible, mais sans relâche, dans le domaine des affaires publiques. Cette démonstration est déjà bien avancée. Les rigueurs contre la presse seraient donc en ce moment très inopportunes ; elles ne seraient pas accueillies favorablement par la portion prudente et réfléchie du public : elles produiraient un résultat contraire à celui qu’on aurait en vue.

Il serait puéril de dissimuler que parmi nos préoccupations intérieures la plus fâcheuse est en ce moment le choléra. Nous avons assisté, depuis 1832, à plus d’une épidémie cholérique ; jamais, ce nous semble, la terrible maladie n’avait aussi vivement frappé que cette année l’imagination des populations. En 1849, en 1854, les ravages du choléra furent longs et cruels. Le public en paraissait moins ému qu’aujourd’hui. Nous avions alors, il est vrai, de graves diversions politiques : en 1849 l’ardente lutte des partis, en 1854 les commencemens de la guerre d’Orient. Peut-être aussi, accoutumés depuis lors à un long repos, au progrès des choses qui rendent la vie plus comfortable et plus aisée, sommes-nous plus touchés de la perspective d’une de ces grandes calamités publiques que les esprits religieux appellent des visitations de la Providence. Tout semble annoncer cependant que cette fois la visite du choléra sera moins longue et moins désastreuse que ses apparitions antérieures. Le fléau semble abandonner les villes du midi, Marseille, Toulon notamment, qu’il a douloureusement éprouvées. Cette invasion du choléra et les émotions qu’elle a inspirées au public ont fait naître des questions administratives et des questions poli-