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tous. Qui d’ailleurs oserait contredire un pareil orateur ? Mercier, l’auteur du Tableau de Paris, l’a osé ! Il a été écrasé, perdu, anéanti sous l’indignation publique ; sa voix ne s’entendra plus : exemple de docilité pour les autres ! On revient à l’instruction publique. Romme, Fourcroy, Bouquier, Chénier, se succèdent. Les enfans préoccupent la convention plus que les hommes, seul point qu’elle ne se lasse pas de corriger, de revoir, de refaire ; sa patience à ce sujet est infinie : spectacle unique que l’enfant ainsi protégé par les rudes mains qui s’appuient à l’échafaud ! L’évêque Grégoire est le Fénelon de ce nouveau Télémaque.

Mais que dit-on de la guerre ? Voici justement des lettres de Masséna, de Hoche, de Pichegru, de Moncey. Qu’on les lise : victoires sur le Rhin, combats incertains aux Pyrénées, marche en avant sur les Alpes, massacres, incendies en Vendée, alternatives accoutumées ; on fera face de toutes parts. Carnot arrive du comité ; on lit sur son front la victoire. Dépêches de Carrier : il fusille, il brûle, il noie, et ceux qui tout à l’heure avaient le ton de Télémaque approuvent d’un signe de tête ; ils ont pris le cœur de Carrier. Écoutez ! voici Barère. li faut entendre sa carmagnole à l’armée de la république sous les murs de Toulon : « Soldats, vous êtes Français, vous êtes libres. Voilà des Espagnols et des Anglais, des esclaves ! La liberté vous observe. » Un long applaudissement a suivi.

La guerre fera-t-elle oublier les beaux-arts ? Tant s’en faut ! Aussi bien la commission pour la conservation des monumens des arts est prête depuis plusieurs jours. Qu’elle fasse son rapport. On prend pitié des statues et des tableaux ; ils seront mis en sûreté, quand les hommes ne savent plus où reposer leur tête. Sergent, de la même main qui a signé les circulaires du 2 septembre, trace le plan du musée. Merlin de Thionville, au retour des armées de Mayence et de Vendée, organise l’artillerie légère et fait des projets de musique populaire. David a juré qu’il immortalisera de son pinceau le divin Marat ; il immortalisera aussi Barra, le jeune soldat de l’armée de l’ouest.

Après les acclamations, les gémissemens, les sanglots. Des citoyennes en pleurs « viennent en foule à la barre » demander la mise en liberté de leurs parens détenus et menacés de mort. Que va-t-il arriver ? Les cœurs de bronze s’amolliront-ils à ces cris des suppliantes ? Le président leur oppose les lois de Solon, l’exemple de Cicéron : elles répliquent par leurs larmes. Robespierre se lève, il repousse « ces femmes méprisables, que l’aristocratie lâche devant nous. » Il a parlé, elles se taisent. Qu’elles aillent enterrer leurs morts !