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supporter l’impôt. Ce quelque part est la déclaration solennelle qu’il a fait adopter le 21 avril aux jacobins et exposé le 24 à la convention. Deux mois après, ce droit ne lui semble plus qu’une distinction odieuse. De cette contradiction violente concluez que le manifeste d’avril n’était pour lui qu’une arme de combat, il la rejette dès qu’il n’en a plus besoin, ou bien, ce qui est plus évident encore, ses idées sur l’économie sociale n’étaient que des ébauches irréfléchies, sans suite. Il en sortait comme d’une citadelle ou il y rentrait au hasard, suivant qu’elles paraissaient utiles ou défavorables à sa politique du moment. Après cette excursion dans un ordre de choses qu’il ne connaissait pas, il les quitte pour se jeter dans le vague de la morale politique, son vrai domaine. Jamais il ne sut résumer sa politique dans une loi précise, faite pour passionner les masses à la manière d’un tribun antique. Sans doute les promesses vagues ont une puissance incommensurable sur l’imagination, mais à la condition pourtant de se concentrer en un objet qui parle aux yeux de tous. Sans cela, l’imagination du peuple finit par s’user à vide comme celle du tribun[1].

Si Robespierre eût repoussé la propriété individuelle, il aurait dû être l’ennemi le plus déclaré de la constitution de 1793. Examinez cette constitution et la déclaration des droits qui la précède, vous verrez que la définition qu’elle donne de la propriété est la même que celle du code de l’an XII. Sur ce chapitre, nulle discussion, nul amendement. La montagne vote comme la plaine. Le comité de salut public de juin 1793 transmet directement et presque dans les mêmes termes sa conception de l’idée de propriété aux rédacteurs et aux tribuns du consulat. Ainsi Danton, Couthon, Saint-Just même, Cambon, Barère, Guyton-Morveau, Treilhard, Lacroix, Berlier, Hérault-Séchelles, Ramel, tendent, du fond de 1793, la main aux conseillers et aux tribuns d’état de l’an XII, à Portalis, Faure, Grenier, Savoie-Rollin, Jaubert, Duveyrier, Siméon.

Que pense Robespierre de cette constitution de 1793, « sortie en huit jours du sein des orages ? » Fait-il une seule réclamation sur le point capital ? Se plaint-il de ce que la déclaration des droits n’a emprunté à, la sienne que des mots sans suite, satisfaction donnée au moraliste, à l’écrivain, et jamais à l’économiste ? Non, ses vues sont si incertaines, qu’il ne les soutient ni ne les regrette. Lui, si absolu en tout le reste, il admire, il élève aux nues cette constitution qui porte dans ses flancs l’ancienne civilisation avec la

  1. « J’étais opposé à Robespierre, parce que je n’ai jamais vu en lui un but déterminé. Il parlait sans cesse de vertu et de bonheur du peuple ; mais ce sont la des mots d’une bien grande étendue. On ne voyait pas ou il voulait venir. Après tout, il pouvait les appliquer a son pouvoir et les faire servir à son usage. » (Mémoires inédits de Baudot.)