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teur au milieu des supplices et des batailles, non pas impartial assurément, mais vrai, pénétrant, qui écrivait, sans ; souci des contemporains, en vue de la génération prochaine. Je lui emprunterai quelques déclarations qui ne pourront manquer de jeter un peu de lumière dans le débat.

N’est-il pas frappant, en effet, qu’un homme d’un esprit aussi acéré ait pu vivre, pendant toute la convention, sur la crête de la montagne, sans y avoir jamais ouï parler par qui que ce soit, dantoniste ou robespierriste, d’abolition de la propriété, d’état propriétaire, niveleur, producteur, consommateur, ni de loi agraire, ni d’égalité des biens, ni de tendance aux doctrines de Babeuf, ni d’aucun de ces vastes projets que la postérité crédule, soit en France, soit à l’étranger, a si souvent attribués à la convention de 1793 ? N’est-ce pas la preuve la plus certaine que ces projets n’existaient pas dans les têtes même de Robespierre et de Saint-Just, qu’ils n’avaient sur ces points que des vues vagues, mobiles, changeantes, plutôt littéraires et morales qu’économiques, mais aucun système formel autre que celui de la propriété individuelle ? — sans quoi, il leur eût été impossible de faire à la montagne un secret de pareilles intentions : il eût été déraisonnable de le tenter.

« La convention, dit Baudot, n’avait pas sur la propriété une autre opinion que celle du code civil : elle a toujours regardé la propriété comme la base fondamentale de l’ordre social. Je n’ai jamais entendu aucun membre de cette assemblée prononcer ni faire aucune proposition contraire à ce principe. Elle a été souvent accusée d’avoir professé des principes subversifs de toute propriété. A ma connaissance parfaite, il serait impossible de citer un mot, une phrase qui pût donner quelque poids à cette accusation. » Ce ne sont point là des aperçus vagues, exagérés pour le besoin d’une cause ; c’est l’impression immédiate d’un homme mêlé aux secrets de son parti, et qui n’eût pu fermer les yeux sur une chose aussi capitale que le projet d’engloutir la propriété individuelle. Autant vaudrait ignorer le Vésuve en habitant près du cratère.

Les idées de la convention en 1793, c’est-à-dire de la montagne, conduisaient si peu à la doctrine de l’égalité des biens, que les conventionnels, sans exception, furent mis en suspicion par Babeuf lorsqu’il dévoila son système. Il avait résolu d’abord de n’en admettre aucun dans ses conciliabules. D’autre part, quand la conspiration éclata, les montagnards les plus hardis, les plus aventureux, furent si surpris de cette explosion d’utopies qu’ils refusèrent de croire à la sincérité de ce qu’ils entendaient pour la première fois. Ils s’obstinaient à penser qu’une tentative si extravagante à leurs yeux ne pouvait être qu’un piège tendu par le directoire.