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Ceci m’amène à vous parler des jeunes filles américaines et de leurs séductions tant de fois décrites par les voyageurs et les romanciers. On les a si souvent et si librement jugées qu’en vérité je ne dois plus m’en faire scrupule, car elles sont tombées pour ainsi dire dans le domaine public. Les femmes, vous ai-je dit, sont la partie intellectuelle de la société américaine ; mais cette qualité devient presque un défaut. Nul n’aime à entendre une grosse voix sortir d’un corps frêle et d’une bouche délicate. Eh bien ! j’éprouve une impression analogue lorsque j’entends une jeune fille disserter politique comme un vieil avocat, parler affaires comme un courtier de commerce. Qu’a-t-elle à s’occuper de balles de coton ou de porc salé ? Quand la conversation prend cette pente, il me semble apercevoir sous la robe de gaze le gros soulier d’un marchand forain. Leur science d’ailleurs n’est pas toujours profonde. En Amérique, on n’apprend guère pour apprendre. On se fait à la hâte une pacotille de connaissances qu’on achète, comme les modes, au premier bazar venu ; puis on s’embarque dans la vie comme on part pour un voyage, avec tout juste le nécessaire ; on est trop pressé pour traîner avec soi les cargaisons lourdes et superflues.

Les hommes sont pressés de courir après la fortune, — c’est leur métier par tout pays, — les femmes de courir après un mari, affaire sérieuse dans un pays où elles disposent souverainement d’elles-mêmes. Voilà l’occupation constante et le but final de leurs jeunes années. Il est établi qu’on ne les épouse que par inclination ; il faut bien qu’elles plaisent. Le prétendant ne s’enquiert pas de la dot, et il est censé ne pas s’informer de l’héritage. Le père, quand il est riche, fait quelquefois à sa fille un cadeau qui vaut une fortune ; mais rien ne l’y oblige, et entre lui et son gendre il n’en est pas question. Les engagemens durent une, deux, trois années, puis se rompent, puis se reprennent, et les pareils en sont souvent les derniers informés. L’homme ne se marie que lorsqu’il a acquis une fortune suffisante pour faire vivre une famille. La femme compte, attend patiemment, ou profite d’une occasion meilleure. C’est elle qui calcule et qui raisonne. Ces mines rieuses, évaporées, cachent souvent des desseins profonds et une tête diplomatique. L’indépendance américaine développe chez les femmes beaucoup de facultés utiles, mais elle nuit un peu à leur prestige. Faut-il s’en indigner ? J’aime autant, pour ma part, la chasse au mari cousu d’or que le commerce des grosses dots.

Vous ne sauriez croire combien les Américains sont friands d’aristocratie. Hommes récens eux-mêmes, pour la plupart artisans de leur propre fortune et parvenus depuis une génération à peine, ils ont pour tout ce qui compte quelques années d’existence un respect superstitieux. Leur société est si nouvelle, il y pousse tant