Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eux-mêmes. Quand ils ont obtenu la permission d’entrer, chacun se place tour à tour sur l’escabeau, et des mains exercées soulèvent le poids jusqu’au seuil. On fit exception cependant pour M. Tischendorf, grâce aux recommandations des autorités ottomanes : l’économe du couvent, qui représentait le prieur, descendit à sa rencontre et lui ouvrit une porte réservée. Le drogman seul dut être, ainsi que les bagages, hissé par la voie périlleuse.

C’était la troisième fois que M. Tischendorf revoyait le cloître du Sinaï ; il y retrouvait d’anciennes connaissances, et tout cependant lui paraissait nouveau, tant il était persuadé que cette mission au Sinaï devait avoir de grands résultats. Était-ce l’exaltation du désir dans une âme attachée tout entière à la poursuite de son idée ? Le moine Dionysios, en le félicitant de cette entreprise accomplie sous le patronage du tsar, lui adresse quelques paroles de bienvenue qui lui semblent un signe d’en haut, une promesse mystérieuse. Les voix intérieures prennent aisément une forme divine dans l’atmosphère de l’Orient. À l’ardeur de la foi ajoutez l’ardeur de la science, une double extase produira bientôt de merveilleux mirages. Je crois donc au récit de l’auteur ; je ne le soupçonne pas un instant d’avoir arrangé ces choses après coup, et tous les pressentimens de la découverte qui allait couronner ses voyages me paraissent un fait psychologique très curieux en même temps qu’un témoignage de son zèle. Avec quelle joie il parcourt le vaste et poétique monastère ! Quel bonheur d’errer dans les longues galeries, de revoir les cellules, les chapelles, la grande basilique ! Voici le chœur, un monument du VIe siècle ; au-dessus de l’autel, éclairé par sept candélabres d’argent, on aperçoit une belle mosaïque représentant la transfiguration ; à droite et à gauche sont placés les bustes des deux fondateurs du cloître, l’empereur Justinien et l’impératrice Théodora. Rien de plus étrange que ce couvent, où le mahométisme a sa place auprès des souvenirs judaïques et chrétiens. À la basilique de Justinien est adossée une mosquée dont le croissant s’élève à côté de la croix. A-t-elle été construite par Mahomet lui-même, comme le veut la tradition ? Il serait difficile de l’affirmer. Une chose certaine au moins, c’est que la mosquée est une sauvegarde pour les religieux du Sinaï, entourés de tous côtés par les Bédouins du désert. Chaque année, les caravanes de La Mecque s’arrêtent au couvent du Sinaï pour aller prier dans la mosquée de Mahomet. Les vassaux, les tenanciers des religieux sont presque tous des Bédouins, qui, en protégeant leurs paisibles suzerains, protègent aussi la mosquée. Ces familles arabes qui cultivent les terres du couvent et sont entretenues par les moines étaient autrefois chrétiennes ; elles sont pour la plupart aujourd’hui retournées