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aurait sans doute à observer bien des spectacles curieux, bien des contrastes entre la vieille Égypte et L’Égypte nouvelle : ne les demandez pas à M. Tischendorf. S’il marque au passage d’un trait net et vif les singularités des lieux, son affaire n’est pas de les rechercher. Le Caire même ne saurait le retenir ; d’autres pensées l’entraînent. « Je ne pus, écrit-il, ni jouir de la ville ni me permettre aucune excursion dans le pays si curieux qui l’environne ; j’étais impatient de revoir le Sinaï. C’était une force impérieuse, — je le sentais bien, sans m’en rendre compte, — qui m’avait arraché aux paisibles travaux de mon foyer pour me faire entreprendre ce voyage. Le Sinaï surtout, avec son cloître, bien que je l’eusse visité deux fois déjà, le Sinaï me faisait signe, le Sinaï m’appelait ! »

On voit que l’érudition la plus sévère, a aussi ses ivresses et ses extases. Le pèlerin de la science n’emploie donc son séjour au Caire qu’à préparer son expédition. Du Caire jusqu’à Suez, la voie ferrée doit abréger la distance, mais de Suez au Sinaï la route est longue et laborieuse ; il faut franchir un bras de mer, traverser le désert à dos de chameau, gravir des montagnes abruptes. Sur la recommandation du consul de Russie, le gouverneur de Suez, Selim-Pacha, un vieux compagnon de guerre de Méhémet-Ali, fit venir devant lui le Bédouin Nazar, guide de la caravane, et lui adressa en quelques mots un discours fort éloquent : s’il ne rapportait pas du Sinaï une lettre où son maître se déclarerait satisfait de son service, il y allait de sa tête ; un pacha de Suez a les bras longs, et le désert même ne défendrait pas le coupable. Ainsi endoctriné, le Bédouin fut un guide exemplaire, et tout se passa pour le mieux. C’est le 25 janvier que M. Tischendorf était parti de Suez ; le 31, dans la matinée, la caravane, après avoir campé toute la nuit dans la région des aigles, descendait au fond des vallées, et voyait se dessiner bientôt sur le bleu étincelant du ciel les majestueuses cimes de granit « où le Juif, le chrétien et le musulman fêtent encore le souvenir de la révélation de la loi. » La route qu’avaient suivie les pèlerins leur montrait heureusement la montagne sainte, du côté le plus pittoresque. Du sein de la vaste plaine de Rahah se dresse à pic l’énorme masse rocheuse appelée le mont Horeb. A droite, sur la lisière du désert, au bord de la mer de sable, s’épanouissent, comme deux oasis, les jardins du couvent. A gauche apparaît bientôt dans les déchirures grandioses des rochers une sorte de forteresse : c’est le cloître de Sainte-Catherine. A l’appel parti d’en bas, une porte s’ouvre dyumilieu des rocs, à trente pieds au-dessus du sol. Une corde glisse le long du granit ; les lettres sont placées, sur un escabeau et remontent vers l’étage supérieur. Cette porte aérienne ne sert pas seulement aux missives, mais aux voyageurs